samedi 21 janvier 2017

Donald Trump, l’Europe et le Monde (compte-rendu et commentaire)





  Qu’écrira-t-on dans trois ou quatre ans sur l’Amérique transformée par le mandat de Donald Trump ? Quelle nouvelle « révolution conservatrice » y aura vu le jour ? Quels éléments du quatrième de couverture du livre de Guy Sorman publié il y a trente-trois ans seront-ils toujours pertinents ?
  Car ce qui arrive est une révolution. Mais une révolution qui ira plus loin, plus fort que celle lancée par Ronald Reagan en 1981 : son résultat pourrait être, ni plus ni moins, que de détruire les fondations de la République américaine. La révolution américaine de 1786 va rencontrer sa contre-révolution. En 2017, Donald Trump en est l’initiateur. Je souhaite me tromper.


La révolution conservatrice américaine
Guy Sorman, Fayard, 1983
 Quatrième de couverture
La société américaine est en révolte. La jeunesse repousse la contestation, les femmes luttent contre le féminisme, les contribuables contre l'impôt, les églises les plus conservatrices rallient en masse de nouveaux fidèles, les intellectuels défendent le capitalisme, les syndicats ouvriers s'effondrent, les Noirs dénoncent la politique des droits civils : une révolution conservatrice contre la gauche et contre l'étatisme.

Ce retour de la morale sur fond de crise économique s'accompagne de la disparition des industries périmées. Dans le même temps déferlent les nouvelles technologies. Cette association du retour aux valeurs traditionnelles et du microprocesseur définit le " nouveau conservatisme " : le modèle américain des années 80.

Compte-rendu de la conférence-débat du 19 janvier (Bruxelles)
  J’ai assisté récemment à une conférence-débat sur « Donald Trump, l’Europe et le Monde » (voir photo de l’affiche au bas de l’article). En voici un compte-rendu : ce que j’ai retenu, les points importants que j’y ai relevé et quelques réflexions personnelles à la fin.

  Les trois conférenciers[1] ont suivi un schéma d’exposition que l’on peut ramener à trois questions majeures.

Q1. Que s’est-il passé ? Comment comprendre l’élection de Donald Trump ?
Q2. Que peut-on attendre de son administration ? Quels vont être les changements de paradigme auxquels nous allons assister ?
Q3. Quelles en seront les conséquences pour l’Europe et le Monde ? Quelles sont quelques-unes des « questions qui fâchent » qui vont se poser à nous ?

  Ce schéma était explicite pour les deux premiers intervenants (Michael R. Kulbickas et Drieu Godefridi), implicite pour le troisième, (Didier Reynders).

 Mr. Alain Destexhe, l’initiateur de la conférence-débat, est intervenu pour présenter le sujet et comme facilitateur des discussions. Dans sa présentation, il a rappelé que l’immense majorité des médias, aux Etats-Unis et en Europe, étaient hostiles à Donald Trump et ont appelés à voter pour Hillary Clinton.


Q1. Que s’est-il passé ? Pourquoi le choix des électeurs américains s’est-il porté vers Donald Trump ?

·      Michael R. Kulbickas avance les raisons suivantes :

  Le premier facteur explicatif réside dans la perte de confiance totale des électeurs républicains dans leur propre establishment.

  Il y a par ailleurs un ensemble de qualités supposées ou attribuées à Donald Trump qui ont convaincu l’électorat républicain de le choisir comme « outsider », d’abord aux primaires, ensuite lors de l’élection, à savoir :

  La perception d’une « forte liaison avec la réalité »
  Le fait que Donald Trump « dit les choses » (le « parler vrai »)
  Le fait que ce qu’il dit « résonne avec le Peuple », qu’il est perçu comme quelqu’un qui a la capacité de « gagner des batailles »
  Le fait qu’il est un « outsider », qu’il est « simple » et « efficace ».

  Un troisième facteur explicatif est qu’il a gagné parce que son adversaire, Hillary Clinton, s’est révélée peu sûre d’elle, « pas douée » pour le job, qu’elle a réalisé une contre-performance, notamment auprès de certaines catégories d’électeurs.

  Enfin, quatrième facteur explicatif, le bilan de la présidence d’Obama jugé « désastreux » du point de vue républicain, comparable à la fin de la présidence Carter en 1978-79. L’explication avancée par Mr. Kulbickas est que la perception d’une faiblesse de l’autorité ou du leadership américain dans le monde, a fourni l’occasion à des challengers d’occuper le terrain par la force des armes, par des révolutions. On se rappellera le contexte de la fin de la présidence de Jimmy Carter : révolution islamique en Iran, invasion soviétique de l’Afghanistan. Le parallèle est établi ensuite avec la fin de la présidence Obama : montée en puissance de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, invasion de la Crimée et guerre à basse intensité de la Russie contre l’Ukraine.


·      Drieu Godefridi pour sa part propose la thèse suivante : Donald Trump a été élu président à cause de la révolte des classes moyennes. L’orateur généralise son argument en y englobant l’ensemble des « classes moyennes occidentales », fournissant un cadre explicatif pour comprendre des phénomènes similaires à l’élection de Donald Trump qui sont arrivés en Europe, ou qui pourraient encore se produire (Brexit, rejet de la proposition de changement constitutionnel en Italie, prochaines élections aux Pays-Bas, en Allemagne, en France…). On notera que son analyse factuelle porte plus sur l’Europe que sur les Etats-Unis. En voici les motifs :

  Une fiscalité écrasante sur le travail, pourtant bien moins importante aux USA qu’en Europe, en particulier en France ou en Belgique. 60% de prélèvements fiscaux, ce n’est pas « normal ».

  Un envahissement de la « norme » (juridique) dans tous les domaines de la vie quotidienne. Au-dessus des lois nationales de chaque état-membre de l’Union Européenne, il y a un corpus législatif de 160 mille pages, « l’acquis communautaire ». Cette norme étatique essaye de réglementer tous les aspects de la vie et de la société.

  On assiste également à une série de dégradations dans la vie quotidienne. A titre d’exemples : la ville, la mobilité (le cas de Bruxelles est évoqué), l’école (en Communauté Française, richement dotée en moyen mais dont les résultats aux enquêtes PISA montrent la dégradation continuelle).
  Le représentant de ces « classes moyennes occidentales » (dans laquelle l’orateur s’inclut), est alors en droit de se demander pourquoi avec une telle ponction fiscale la vie continue à se dégrader. De cette discordance entre le montant anormalement élevé de la contribution fiscale et la réalité perçue comme se dégradant, procède le sentiment de révolte des classes moyennes en Europe et aux Etats-Unis.

  Enfin, un dernier élément d’explication réside dans le rejet de la pensée politiquement correcte à propos de l’immigration. Il ne faut pas confondre une position opposée à une immigration non-contrôlée avec du racisme. De cette accusation de racisme infondé procède aussi une partie du sentiment de révolte des classes moyennes.


·      Didier Reynders, intervenu en dernier, n’a pas fait pas d’analyse des causes de l’élection de Donald Trump mais s’est contenté d’observer ce qui s’est passé avant et après l’élection :

  L’élection ne fut pas un succès sur le plan de la qualité des échanges.

  Les résultats de l’élection ont été contestés : demandes de recomptage des votes dans certains états, spéculations d’un possible impeachment du président-élu, interprétations des résultats liés à de l’espionnage. Il y a eu certes un vote populaire dans lequel Mrs Clinton l’a emporté en nombre absolu de voix. Mais le résultat de l’élection est comme on le sait déterminé par le nombre de grands électeurs, état par état. C’est la manière dont le système fédéral américain est construit. Il y a en Europe autant de procédures de vote démocratiques qu’il y a d’états membres de l’Union Européenne. Les européens devraient se souvenir qu’ils ont assez souvent traités « d’incapables » des présidents américains dans l’histoire récente. Il est important de respecter les résultats des élections chez soi et chez autrui, cela fait partie de la démocratie. Didier Reynders observe l’actualité : ce jour dit-il, des troupes sénégalaises vont entrer en Gambie pour faire respecter le résultat d’une élection présidentielle démocratique, dans un pays où le président en cours refuse de quitter son poste.



Q2. Que peut-on attendre de son administration ? Quels vont être les changements de paradigme auxquels nous allons assister ?


·      Tous les conférenciers s’accordent pour dire que le président élu va remettre en cause un certain nombre de « faits acquis » dans les relations internationales, parmi lesquels :

  Le sous-financement de l’OTAN par la plupart des états membres de cette organisation, à concurrence de 2% du budget (sauf cinq pays, dont les Etats-Unis qui « payent pour les autres »). Il faudra relever l’engagement des états membres. Didier Reynders rappelle que c’était déjà le message délivré par le président Obama en 2012. Il ajoute que le rendez-vous est pris pour un sommet des chefs d’état de l’OTAN qui se tiendra à Bruxelles en mai ou en juillet 2017. Ce sera l’occasion d’en discuter avec Donald Trump.
 
  Les Nations-Unies comme organisation, permettent à un certain nombre d’états de disposer d’une influence disproportionnée, surtout s’il s’agit d’états non-démocratiques. L’ONU devrait voir son importance réduite ; le président élu annoncera qu’il va arrêter de payer, ou qu’il va se retirer d’une « organisation corrompue ».
  Une des conséquences d’un probable retrait ou désengagement relatif des Etats-Unis de l’ONU va se traduire par le recul des politiques énergétiques dictées par l’agenda écologique, au profit d’un climato-scepticisme. Drieu Godefridi pense que le prix de l’énergie va diminuer aux Etats-Unis et augmenter en Europe, nous plaçant dans une situation de désavantage comparatif sur le plan économique.


·      A propos des relations avec l’Union Européenne, les clivages vont essentiellement concerner :

  La politique d’immigration, jugée « irresponsable » lors de la crise syrienne par l’ouverture des frontières de l’Allemagne et donc de l’espace Schengen. On sait que le président élu a fortement critiqué la chancelière allemande Angela Merkel sur ce dossier. Didier Reynders pense qu’en matière d’immigration les Européens n’ont pas de leçon à donner aux Américains à propos des « murs ». Il y en a déjà certains aux frontières de l’Union (Bulgarie avec Turquie, ou Ceuta et Melilla en Afrique du Nord), voire à l’intérieur de l’Union (Calais, Hongrie). Il y a beaucoup plus de morts en Méditerranée que le long de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. L’Europe n’a pas de leçon à donner aux autres en cette matière.

  Le Brexit et les intentions supposées de favoriser « l’éclatement » de l’Union. Aucun des orateurs ne pense qu’il y ait un « agenda caché » de Donald Trump, par contre sa méthode « pragmatique » d’homme d’affaire va l’amener à tenter de conclure une série de « deals » bilatéraux, menés avec chaque pays vis-à-vis duquel les Etats-Unis ont un intérêt.  Donald Trump est un homme d’affaire, il va tenter de faire bouger le champ des négociations, en ouvrant par exemple des dossiers « tabous » (transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem), mais il s’agira peut-être d’une stratégie destinée à ce que les autres viennent le chercher… afin d’obtenir quelque chose en échange ! Didier Reynders préfère le terme de diplomatie bilatérale à celui d’une politique « unilatéraliste » qui a été avancée car les Etats-Unis auront besoin des autres états pour faire avancer leurs propositions. Le mot-clé ici sera de bien comprendre comment négocier avec Donald Trump.
  L’Europe doit donc continuer à travailler sa capacité à se renforcer pour être crédible face à Donald Trump. Ce n’est pas gagné. Chaque état européen doit comprendre qu’il est petit sur la scène mondiale. Certains l’ont compris. D’autres, ne l’ont pas encore compris.


·      Sur la politique économique ou le protectionnisme :

  La politique de relance par les investissements dans les infrastructures est un thème commun aux européens et aux intentions du président élu. C’est une politique qui a du sens. Mais aurons-nous la capacité de financer ces investissements à hauteur de nos ambitions ? se demande Didier Reynders.
  Des mesures protectionnistes du marché européen sont déjà en place vis-à-vis de la Chine. Une dose de protectionnisme mesuré peut favoriser la relance de l’industrie ou aider à redéfinir les règles de la concurrence. Mais Reynders ajoute : certaines de ses mesures qui sont en train de s’appliquer à l’intérieur de l’Union conduisent à la parcellisation du marché unique et c’est une mauvaise politique.


·      Sur la politique des droits :

  L’idéologie du « politiquement correct » qui consiste à ne plus représenter le Peuple ou défendre ses intérêts mais ceux des minorités, est un des éléments culturels qui vont changer suite à l’élection de Donald Trump, selon Drieu Godefridi. Une somme de minorités ne crée pas un Peuple.



Q3. Quelles en seront les conséquences pour l’Europe et le Monde ? Quelles sont quelques-unes des « questions qui fâchent » qui vont se poser à nous ?


·      Les conséquences ont été abordées en réponse à la deuxième question. Pour Drieu Godefridi, il y a quelques « sujets qui fâchent », que la droite américaine nous pose :

  Un Etat obèse est un Etat impuissant.

  Un Etat de Droit est un Etat qui contrôle ses frontières et qui éloigne les clandestins. Les murs sont destinés à limiter l’immigration illégale uniquement.

  La nouvelle « tentation totalitaire » : l’écologisme fournit un havre aux thèses marxistes inavouables.

  La sur-inflation législative conduit au « despotisme doux » des mille petites règles.

  Ces propositions, conclut Drieu Godefridi, ne viennent pas de la droite américaine… mais sont tirées du livre de Jean Gol ! [2]




Commentaire personnel

  La droite libérale ne forme pas un bloc homogène.
Il y a des différences de substance autant que de style entre les analyses ou les commentaires des uns et des autres.
  D’un côté, la droite idéologique dure prônant une « révolution conservatrice » (la « révolte des classes moyennes occidentales » est un euphémisme) ; de l’autre, des libéraux pragmatiques qui préconisent la prudence (« attendre et observer » les premiers pas de la nouvelle administration américaine, apprendre à connaître les nouveaux interlocuteurs, leurs priorités, leurs façons d’aborder les dossiers).
  Tous ne partagent pas une interprétation climato-sceptique des rapports du GIEC (la ligne de partage ne relève pas de la science mais de la politique ou de la politisation de la science). Tous ne pensent pas que l’éclatement de l’Union Européenne sous la poussée du Brexit annonciateur, des coins que Donald Trump va y enfoncer et de l’incapacité des européens à se défendre, soit une bonne chose.
  Tous ne sont pas unis dans une admiration de Donald Trump, ne voient pas en lui un « homme providentiel » qui va les aider à mener plus loin, plus radicalement, leurs agendas de lutte contre le « socialisme », qui s’imaginent que nous vivons dans un régime de « Goulag mou ».
  Tous ne pensent pas que l’arrivée au pouvoir de cet homme-là va être une bonne chose pour les Etats-Unis, pour l’Europe ou pour le monde. Car que peut-on attendre d’un homme qui a une telle posture anti-intellectuelle, anti-establishment (alors qu’il en fait partie), qui suscite la « haine de classe » des « politiciens de Washington D.C. dès son discours d’investiture comme Président, qui n’est pas capable de produire un discours d’investiture qui soit à la hauteur de la fonction, qui détruit le langage et la pensée ?
  Il y aura, pense-t-on pour se rassurer, son administration qui va le contrôler, le freiner, l’orienter ; il y aura se dit-on la résistance du réel à la mégalomanie, les contraintes du système économique, juridique, politique. Nous verrons. La réalité s’est déjà pliée plus d’une fois aux délires des ambitieux… mais parce qu’ils étaient soutenus, parce qu’il y avait toujours un consentement, du peuple et des élites, économiques, politiques, intellectuelles, à leur démesure.

Breaking news (21.01 08:09PM UTC + 1)
le lien vers le texte de Drieu Godefridi prononcé lors de la conférence
ici :http://palingenesie.com/soiree-debat-trump-a-bruxelles-causes-et-opportunites/



[1] Mr. Michael R. Kulbickas, américain, chairman de « Republican Overseas Belgium », Mr. Drieu Godefridi, juriste, philosophe et Mr. Didier Reynders, Ministre des affaires étrangères
[2] Jean Gol, homme politique belge, membre du Parti Libéral. J’ignore si le livre présenté à la fin de son exposé par Drieu Godefridi était l’une des deux publications suivantes de Jean Gol :
-        L’optimisme de la volonté, éd. Paul Legrain, 1985
-        Librement, éd. Didier Hatier, Bruxelles, 1992