Qu’écrira-t-on dans trois ou quatre
ans sur l’Amérique transformée par le mandat de Donald Trump ? Quelle
nouvelle « révolution conservatrice » y aura vu le jour ? Quels
éléments du quatrième de couverture du livre de Guy Sorman publié il y a
trente-trois ans seront-ils toujours pertinents ?
Car ce qui arrive est une
révolution. Mais une révolution qui ira plus loin, plus fort que celle lancée
par Ronald Reagan en 1981 : son résultat pourrait être, ni plus ni moins,
que de détruire les fondations de la République américaine. La révolution
américaine de 1786 va rencontrer sa contre-révolution. En 2017, Donald Trump en
est l’initiateur. Je souhaite me tromper.
La révolution conservatrice
américaine
Guy Sorman,
Fayard, 1983
Quatrième de
couverture
La société américaine est en révolte. La jeunesse
repousse la contestation, les femmes luttent contre le féminisme, les
contribuables contre l'impôt, les églises les plus conservatrices rallient en
masse de nouveaux fidèles, les intellectuels défendent le capitalisme, les
syndicats ouvriers s'effondrent, les Noirs dénoncent la politique des droits
civils : une révolution conservatrice contre la gauche et contre l'étatisme.
Ce retour de la morale sur fond de crise économique s'accompagne de la disparition des industries périmées. Dans le même temps déferlent les nouvelles technologies. Cette association du retour aux valeurs traditionnelles et du microprocesseur définit le " nouveau conservatisme " : le modèle américain des années 80.
Ce retour de la morale sur fond de crise économique s'accompagne de la disparition des industries périmées. Dans le même temps déferlent les nouvelles technologies. Cette association du retour aux valeurs traditionnelles et du microprocesseur définit le " nouveau conservatisme " : le modèle américain des années 80.
Compte-rendu de la conférence-débat du 19 janvier (Bruxelles)
J’ai assisté récemment à une
conférence-débat sur « Donald Trump, l’Europe et le Monde » (voir
photo de l’affiche au bas de l’article). En voici un compte-rendu : ce que
j’ai retenu, les points importants que j’y ai relevé et quelques réflexions
personnelles à la fin.
Les trois conférenciers[1]
ont suivi un schéma d’exposition que l’on peut ramener à trois questions
majeures.
Q1. Que s’est-il passé ? Comment comprendre
l’élection de Donald Trump ?
Q2. Que peut-on attendre de son
administration ? Quels vont être les changements de paradigme auxquels
nous allons assister ?
Q3. Quelles en seront les conséquences pour
l’Europe et le Monde ? Quelles sont quelques-unes des « questions qui
fâchent » qui vont se poser à nous ?
Ce schéma était explicite pour les
deux premiers intervenants (Michael R. Kulbickas et Drieu Godefridi), implicite
pour le troisième, (Didier Reynders).
Mr. Alain Destexhe, l’initiateur de
la conférence-débat, est intervenu pour présenter le sujet et comme
facilitateur des discussions. Dans sa présentation, il a rappelé que l’immense
majorité des médias, aux Etats-Unis et en Europe, étaient hostiles à Donald
Trump et ont appelés à voter pour Hillary Clinton.
Q1. Que s’est-il
passé ? Pourquoi le choix des électeurs américains s’est-il porté vers
Donald Trump ?
·
Michael
R. Kulbickas avance les raisons suivantes :
Le premier facteur explicatif
réside dans la perte de confiance totale des électeurs républicains dans leur
propre establishment.
Il y a par ailleurs un ensemble de
qualités supposées ou attribuées à Donald Trump qui ont convaincu l’électorat
républicain de le choisir comme « outsider », d’abord aux primaires,
ensuite lors de l’élection, à savoir :
La perception d’une « forte
liaison avec la réalité »
Le fait que Donald Trump « dit
les choses » (le « parler vrai »)
Le fait que ce qu’il dit
« résonne avec le Peuple », qu’il est perçu comme quelqu’un qui a la
capacité de « gagner des batailles »
Le fait qu’il est un
« outsider », qu’il est « simple » et
« efficace ».
Un troisième facteur explicatif est
qu’il a gagné parce que son adversaire, Hillary Clinton, s’est révélée peu sûre
d’elle, « pas douée » pour le job, qu’elle a réalisé une
contre-performance, notamment auprès de certaines catégories d’électeurs.
Enfin, quatrième facteur
explicatif, le bilan de la présidence d’Obama jugé « désastreux » du
point de vue républicain, comparable à la fin de la présidence Carter en
1978-79. L’explication avancée par Mr. Kulbickas est que la perception d’une
faiblesse de l’autorité ou du leadership américain dans le monde, a fourni
l’occasion à des challengers d’occuper le terrain par la force des armes, par
des révolutions. On se rappellera le contexte de la fin de la présidence de
Jimmy Carter : révolution islamique en Iran, invasion soviétique de
l’Afghanistan. Le parallèle est établi ensuite avec la fin de la présidence
Obama : montée en puissance de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak,
invasion de la Crimée et guerre à basse intensité de la Russie contre
l’Ukraine.
·
Drieu
Godefridi pour sa part propose la thèse suivante : Donald Trump a été élu
président à cause de la révolte des classes moyennes. L’orateur généralise
son argument en y englobant l’ensemble des « classes moyennes occidentales »,
fournissant un cadre explicatif pour comprendre des phénomènes similaires à
l’élection de Donald Trump qui sont arrivés en Europe, ou qui pourraient encore
se produire (Brexit, rejet de la proposition de changement constitutionnel en
Italie, prochaines élections aux Pays-Bas, en Allemagne, en France…). On notera
que son analyse factuelle porte plus sur l’Europe que sur les Etats-Unis. En
voici les motifs :
Une fiscalité écrasante sur le
travail, pourtant bien moins importante aux USA qu’en Europe, en particulier en
France ou en Belgique. 60% de prélèvements fiscaux, ce n’est pas
« normal ».
Un envahissement de la
« norme » (juridique) dans tous les domaines de la vie quotidienne. Au-dessus
des lois nationales de chaque état-membre de l’Union Européenne, il y a un
corpus législatif de 160 mille pages, « l’acquis communautaire ».
Cette norme étatique essaye de réglementer tous les aspects de la vie et de la
société.
On assiste également à une série de
dégradations dans la vie quotidienne. A titre d’exemples : la ville, la
mobilité (le cas de Bruxelles est évoqué), l’école (en Communauté Française,
richement dotée en moyen mais dont les résultats aux enquêtes PISA montrent la
dégradation continuelle).
Le représentant de ces « classes
moyennes occidentales » (dans laquelle l’orateur s’inclut), est alors en
droit de se demander pourquoi avec une telle ponction fiscale la vie continue à
se dégrader. De cette discordance entre le montant anormalement élevé de la
contribution fiscale et la réalité perçue comme se dégradant, procède le
sentiment de révolte des classes moyennes en Europe et aux Etats-Unis.
Enfin, un dernier élément
d’explication réside dans le rejet de la pensée politiquement correcte à propos
de l’immigration. Il ne faut pas confondre une position opposée à une
immigration non-contrôlée avec du racisme. De cette accusation de racisme
infondé procède aussi une partie du sentiment de révolte des classes moyennes.
·
Didier
Reynders, intervenu en dernier, n’a pas fait pas d’analyse des causes de
l’élection de Donald Trump mais s’est contenté d’observer ce qui s’est passé
avant et après l’élection :
L’élection ne fut pas un succès sur
le plan de la qualité des échanges.
Les résultats de l’élection ont été
contestés : demandes de recomptage des votes dans certains états,
spéculations d’un possible impeachment
du président-élu, interprétations des résultats liés à de l’espionnage. Il y a
eu certes un vote populaire dans lequel Mrs Clinton l’a emporté en nombre
absolu de voix. Mais le résultat de l’élection est comme on le sait déterminé
par le nombre de grands électeurs, état par état. C’est la manière dont le
système fédéral américain est construit. Il y a en Europe autant de procédures
de vote démocratiques qu’il y a d’états membres de l’Union Européenne. Les
européens devraient se souvenir qu’ils ont assez souvent traités
« d’incapables » des présidents américains dans l’histoire récente.
Il est important de respecter les résultats des élections chez soi et chez
autrui, cela fait partie de la démocratie. Didier Reynders observe
l’actualité : ce jour dit-il, des troupes sénégalaises vont entrer en
Gambie pour faire respecter le résultat d’une élection présidentielle
démocratique, dans un pays où le président en cours refuse de quitter son
poste.
Q2. Que peut-on attendre de
son administration ? Quels vont être les changements de paradigme auxquels
nous allons assister ?
·
Tous
les conférenciers s’accordent pour dire que le président élu va remettre en
cause un certain nombre de « faits acquis » dans les relations
internationales, parmi lesquels :
Le sous-financement de l’OTAN par
la plupart des états membres de cette organisation, à concurrence de 2% du
budget (sauf cinq pays, dont les Etats-Unis qui « payent pour les
autres »). Il faudra relever l’engagement des états membres. Didier
Reynders rappelle que c’était déjà le message délivré par le président Obama en
2012. Il ajoute que le rendez-vous est pris pour un sommet des chefs d’état de
l’OTAN qui se tiendra à Bruxelles en mai ou en juillet 2017. Ce sera l’occasion
d’en discuter avec Donald Trump.
Les Nations-Unies comme
organisation, permettent à un certain nombre d’états de disposer d’une
influence disproportionnée, surtout s’il s’agit d’états non-démocratiques. L’ONU
devrait voir son importance réduite ; le président élu annoncera qu’il va
arrêter de payer, ou qu’il va se retirer d’une « organisation
corrompue ».
Une des conséquences d’un probable
retrait ou désengagement relatif des Etats-Unis de l’ONU va se traduire par le
recul des politiques énergétiques dictées par l’agenda écologique, au profit
d’un climato-scepticisme. Drieu Godefridi pense que le prix de l’énergie va
diminuer aux Etats-Unis et augmenter en Europe, nous plaçant dans une situation
de désavantage comparatif sur le plan économique.
·
A
propos des relations avec l’Union Européenne, les clivages vont essentiellement
concerner :
La politique d’immigration, jugée
« irresponsable » lors de la crise syrienne par l’ouverture des
frontières de l’Allemagne et donc de l’espace Schengen. On sait que le
président élu a fortement critiqué la chancelière allemande Angela Merkel sur
ce dossier. Didier Reynders pense qu’en matière d’immigration les Européens
n’ont pas de leçon à donner aux Américains à propos des « murs ». Il
y en a déjà certains aux frontières de l’Union (Bulgarie avec Turquie, ou Ceuta
et Melilla en Afrique du Nord), voire à l’intérieur de l’Union (Calais, Hongrie).
Il y a beaucoup plus de morts en Méditerranée que le long de la frontière entre
le Mexique et les Etats-Unis. L’Europe n’a pas de leçon à donner aux autres en
cette matière.
Le Brexit et les intentions
supposées de favoriser « l’éclatement » de l’Union. Aucun des
orateurs ne pense qu’il y ait un « agenda caché » de Donald
Trump, par contre sa méthode « pragmatique » d’homme d’affaire va
l’amener à tenter de conclure une série de « deals » bilatéraux,
menés avec chaque pays vis-à-vis duquel les Etats-Unis ont un intérêt. Donald Trump est un homme d’affaire, il va
tenter de faire bouger le champ des négociations, en ouvrant par exemple des
dossiers « tabous » (transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem),
mais il s’agira peut-être d’une stratégie destinée à ce que les autres viennent
le chercher… afin d’obtenir quelque chose en échange ! Didier Reynders
préfère le terme de diplomatie bilatérale à celui d’une politique
« unilatéraliste » qui a été avancée car les Etats-Unis auront besoin
des autres états pour faire avancer leurs propositions. Le mot-clé ici sera de
bien comprendre comment négocier avec Donald Trump.
L’Europe doit donc continuer à
travailler sa capacité à se renforcer pour être crédible face à Donald Trump.
Ce n’est pas gagné. Chaque état européen doit comprendre qu’il est petit sur la
scène mondiale. Certains l’ont compris. D’autres, ne l’ont pas encore compris.
·
Sur
la politique économique ou le protectionnisme :
La politique de relance par les
investissements dans les infrastructures est un thème commun aux européens et
aux intentions du président élu. C’est une politique qui a du sens. Mais
aurons-nous la capacité de financer ces investissements à hauteur de nos
ambitions ? se demande Didier Reynders.
Des mesures protectionnistes du
marché européen sont déjà en place vis-à-vis de la Chine. Une dose de
protectionnisme mesuré peut favoriser la relance de l’industrie ou aider à
redéfinir les règles de la concurrence. Mais Reynders ajoute : certaines
de ses mesures qui sont en train de s’appliquer à l’intérieur de l’Union
conduisent à la parcellisation du marché unique et c’est une mauvaise
politique.
·
Sur
la politique des droits :
L’idéologie du « politiquement
correct » qui consiste à ne plus représenter le Peuple ou défendre ses
intérêts mais ceux des minorités, est un des éléments culturels qui vont
changer suite à l’élection de Donald Trump, selon Drieu Godefridi. Une somme de
minorités ne crée pas un Peuple.
Q3. Quelles en seront les
conséquences pour l’Europe et le Monde ? Quelles sont quelques-unes des
« questions qui fâchent » qui vont se poser à nous ?
·
Les
conséquences ont été abordées en réponse à la deuxième question. Pour Drieu
Godefridi, il y a quelques « sujets qui fâchent », que la droite
américaine nous pose :
Un Etat obèse est un Etat
impuissant.
Un Etat de Droit est un Etat qui
contrôle ses frontières et qui éloigne les clandestins. Les murs sont destinés
à limiter l’immigration illégale uniquement.
La nouvelle « tentation
totalitaire » : l’écologisme fournit un havre aux thèses marxistes
inavouables.
La sur-inflation législative
conduit au « despotisme doux » des mille petites règles.
Ces propositions, conclut Drieu
Godefridi, ne viennent pas de la droite américaine… mais sont tirées du livre
de Jean Gol ! [2]
Commentaire personnel
La droite libérale ne forme pas un
bloc homogène.
Il y a des différences de substance autant que de style entre les analyses
ou les commentaires des uns et des autres.
D’un côté, la droite idéologique
dure prônant une « révolution conservatrice » (la « révolte des
classes moyennes occidentales » est un euphémisme) ; de l’autre, des
libéraux pragmatiques qui préconisent la prudence (« attendre et
observer » les premiers pas de la nouvelle administration américaine,
apprendre à connaître les nouveaux interlocuteurs, leurs priorités, leurs
façons d’aborder les dossiers).
Tous ne partagent pas une
interprétation climato-sceptique des rapports du GIEC (la ligne de partage ne
relève pas de la science mais de la politique ou de la politisation de la
science). Tous ne pensent pas que l’éclatement de l’Union Européenne sous la
poussée du Brexit annonciateur, des coins que Donald Trump va y enfoncer et de
l’incapacité des européens à se défendre, soit une bonne chose.
Tous ne sont pas unis dans une admiration de
Donald Trump, ne voient pas en lui un « homme providentiel » qui va
les aider à mener plus loin, plus radicalement, leurs agendas de lutte contre
le « socialisme », qui s’imaginent que nous vivons dans un régime de « Goulag
mou ».
Tous ne pensent pas que l’arrivée
au pouvoir de cet homme-là va être une bonne chose pour les Etats-Unis, pour l’Europe
ou pour le monde. Car que peut-on attendre d’un homme qui a une telle posture
anti-intellectuelle, anti-establishment (alors qu’il en fait partie), qui
suscite la « haine de classe » des « politiciens de Washington
D.C. dès son discours d’investiture comme Président, qui n’est pas capable de
produire un discours d’investiture qui soit à la hauteur de la fonction, qui détruit
le langage et la pensée ?
Il y aura, pense-t-on pour se
rassurer, son administration qui va le contrôler, le freiner, l’orienter ;
il y aura se dit-on la résistance du réel à la mégalomanie, les contraintes du
système économique, juridique, politique. Nous verrons. La réalité s’est déjà
pliée plus d’une fois aux délires des ambitieux… mais parce qu’ils étaient
soutenus, parce qu’il y avait toujours un consentement, du peuple et des élites,
économiques, politiques, intellectuelles, à leur démesure.
Breaking news (21.01 08:09PM UTC + 1)
le lien vers le texte de Drieu Godefridi prononcé lors de la conférence
ici :http://palingenesie.com/soiree-debat-trump-a-bruxelles-causes-et-opportunites/
[1] Mr. Michael R. Kulbickas, américain, chairman de « Republican Overseas
Belgium », Mr. Drieu Godefridi, juriste, philosophe et Mr. Didier Reynders,
Ministre des affaires étrangères