mardi 26 juin 2018

Métamorphoses de C. (suite et peut-être fin, 5ème partie)



Poussières II
Vous trouverez ci-dessous le format habituel des publications récentes du blog : le journal sans dates, ainsi que le mélange des langues et des tropes.

From Amsterdam to Athens
“Dark matter” is what we call gravity and it has a mass.


Entanglement in light, Amsterdam – the author

  Leibniz’ Essais de Théodicée (published in 1710) is a rational although highly speculative fascinating work of theological philosophy; The Book of Mormon on the other hand, is pure fantasy with lots of smash-buckling and wizardry (let’s call it even “heroic-fantasy” taken however, and that’s the sad thing about those scriptures, at first degree, literal interpretation, by morons of all kind). You can read it, as well many “historical books” of the Old Testament, as the product of highly imaginative minds and (when you think seriously about it), it appears to be an incredible work of creative theological mythology – as opposed to the natural theology of rational minds like Leibniz. This is especially the case with the Book of Mormon, thanks to its “Prophet” Joseph Smith who wrote during the 1820s in rural America this fiction of Jesus coming to the New World after His Resurrection. I prefer reading  the New Testament to the Book of Mormon when dealing with Christ, the former being the pure brand and the later some kind of corrupted version mixed with sub-cultural influences (read : from the cultural history of America’s beginnings).
  I’m quoting the last sentence of the Introduction to the Book of Mormon:

“The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints is the Lord’s kingdom once again established on the earth, preparatory to the Second Coming of the Messiah.”
Joseph Smith, The Book of Mormon




« ... et depuis je crois voir une nouvelle face de l’intérieur des choses. »
Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain

« Jusqu’ici nous n’avons parlé qu’en simples physiciens : maintenant il faut s’élever à la métaphysique, en nous servant du grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante ; c’est-à-dire que rien n’arrive sans qu’il soit possible à celui qui connaîtrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour déterminer pourquoi il en est ainsi, et non pas autrement. Ce principe posé, la première question qu’on a droit de faire sera : Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque chose. De plus, supposé que des choses doivent exister, il faut qu’on puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi, et non autrement. »
Leibniz, « Principes de la Nature et de la Grâce fondés en raison », texte de 1714 publié après la mort de l’auteur (nov. 1716) in L’Europe Savante, 1718, novembre, texte établi par Paul Janet in Œuvres Philosophiques tome I, Félix Alcan, Paris, 1900, pp. 723-731). Disponible en poche dans l’édition de Christine Frémont, Principes de la Nature et de la Grâce. Monadologie et autres textes,1703-1716, Garnier-Flammarion, 1999.


Entré en service le 20 mai 1990, le télescope spatial Hubble est dans sa vingt-huitième année d'inlassable récolte de gerbes de lumières et sera toujours opérationnel au minimum jusqu'en juin 2021, après quoi, sa rentrée graduelle dans l'atmosphère se fera entre 2028 et 2040. Ce géant continuera à moissonner le ciel et à nous envoyer des photos qui nous informent et nous émeuvent. Face à ces images nous rejouons l'étonnement primordial du singe humain dans la savane qui lève la tête la nuit, mais un étonnement démultiplié en profondeur, intensité, qualité, en multiplex sur toutes les longueurs d'onde du spectre. Le télescope spatial Hubble qui a redonné vie à l'astronomie et à une NASA que le décrochage de la Lune avait laissé quelque peu groggy, est devenu source d'esthétique et de science pour nous, les voyants, parce que dans le fond, la beauté et la connaissance, c'est la même chose, le même affect qui fait vibrer les monades que nous sommes à la recherche de la monade primordiale. J'espère que nous ne nous en lasserons jamais. Voici une galerie de 75 photos collationnée par une autre de ces machines qui moissonnent la Toile. Mais attention, la toile peut-être un piège et les images deviennent vite idoles fascinantes et déréalisantes si nous n'y prenons garde car que sont-elles sinon une construction à partir de milliards de données élémentaires assemblées, filtrées, recomposées dans le spectre du visible par des algorithmes et du calcul? Derrière chacune de ces photos il y a beaucoup de travail ardu et de science, de précision et d'ingéniosité. Ces images ne sont pas une fin en soi mais le début d'une exploration.
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  Connaissez-vous la méréologie? « La méréologie (du grec ancien μέρος, « partie ») est une collection de systèmes formels axiomatiques qui traitent des relations entre la partie et le tout. La méréologie est à la fois une application de la logique des prédicats et une branche de l’ontologie, en particulier de l’ontologie formelle. » (Wikipédia). Le corps humain est aussi une collection de parties et de tout, la preuve étant qu’on peut en retirer des morceaux sans modifier le tout. Du moins, cela reste à prouver ...


Maquette du Mirage 2000-5 Mk2 des Πολεμική Αεροπορία sur le bureau du chirurgien-chef. Avec l’aide de la médecine des forces aériennes helléniques.... les « parties du tout » récalcitrantes n’ont qu’à bien se tenir.
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« La relation de partie est définie à l’aide de celle de partie propre. C’est la première définition du système S.
x est une partie de y est exprimée par x < y
Sa définition est la suivante :
SD1 (xy) [(x < y) ((x << y) (x = y))]
x est une partie de y si et seulement si x est une partie propre de y ou x est identique à y.
La relation de partie est une relation d’ordre c’est-à-dire qu’elle est réflexive, transitive et antisymétrique.
La réflexivité de la partie : (x) [(x < x)]
Tout objet est une partie de lui-même. »
Bucchioni, G. (2016), « Méréologie », version académique, dans M. Kristanek (dir.), l’Encyclopédie philosophique, URL: http://encyclo-philo.fr/mereologie/
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« Ωφελέειν και μη βλάπτειν »
Hippocrate de Cos (vers 460 - 377 av. JC).


 « L’objet de la Médecine est défini dans le traité De l'art, il s'agit « d'écarter les souffrances des malades et de diminuer la violence des maladies » ; dans Épidémies I, on trouve la maxime « Avoir dans les maladies deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire » (citation en grec ci-dessus), source probable de la fameuse locution latine Primum non nocere « D'abord ne pas nuire ». »
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Logicomix: An Epic Search for Truth is a graphic novel about the foundational quest in mathematics, written by Apostolos Doxiadis, author of Uncle Petros and Goldbach's Conjecture, and theoretical computer scientist Christos Papadimitriou of the University of California, Berkeley. Character design and artwork are by Alecos Papadatos and color is by Annie Di Donna. The book was originally written in English, and was translated into Greek by author Apostolos Doxiadis for the release in Greece...”


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L’article de Jean Quatremer dans Libération : « Aides de l’UE : la Grèce va bénéficier d’un régime de semi-liberté », donne un bon résumé de la situation économique et institutionnelle qui explique la décision récente des ministres des finances de l’Eurogroupe à libérer la dernière tranche d’aide et d’essayer d’alléger le fardeau de la dette du pays. Ma vision du « problème grec » ci-dessous.
La Grèce n’a toujours pas réussi à réformer ses institutions politiques. Le clivage des extrêmes est plus délétère que jamais. La faute à qui? Comme dans tout problème complexe il est impossible d’identifier une cause unique ou même une série de causes indépendantes. Une partie de la réponse est à chercher dans les mentalités, ce qui concerne l’ensemble des citoyens partageant une culture.
Exemples : le mythe du fonctionnaire à la fois détesté mais dont on envie secrètement les avantages (réels ou imaginaires) et l’ambiguïté du rapport à l’Etat; la prison mentale du « don » et du « contre-don » qui empêche la création d’une valeur d’échange objective dans de nombreux métiers de service; l’esprit de famille de façade qui masque bien les appétits les plus égoïstes et par conséquent l’absence de conscience de solidarité institutionnelle; l’esprit de classe, le régime des parvenus et l’arrivisme à outrance qui poussent les individus à la consommation ostentatoire; l’absence d’engagement des citoyens dans des programmes de transformation urbaine et à une planification raisonnable; l’empreinte obscurantiste de la religion orthodoxe sur l’esprit critique au détriment d’une spiritualité fondée sur la réflexion personnelle; le mensonge et la dissimulation permanente; bref: ce que d’aucuns identifient, à tort ou à raison, je ne sais pas, comme le reliquat de la longue période de la domination ottomane qui aurait créé cette mentalité faite de soumission apparente au plus fort, d’esprit de corps religieux et de mythe national grevé par les luttes intestines pour les places et les profits, crée ce mélange explosif d’une culture politique d’esclavage et de guerre civile larvée, culture à la fois fataliste et intolérante à la frustration.
En résumé, les raisonnements purement économiques ne suffisent pas, ni sur le plan du diagnostic, ni sur celui des remèdes, pour expliquer l’histoire ou guider les décisions politiques. Si, effectivement, quelques-uns des traits culturels que j’ai listé ci-dessus n’évoluent pas, ne se transforment pas, je crains que cette longue période de crise ne serve à rien et que la Grèce dans dix ans, ou vingt ans, voire plus loin encore (puisque l’article évoque la possibilité d’étaler la fin du règlement complet de la dette à l’an 2069...) ne se retrouve pour de bon sous « occupation » étrangère (et plus forcément celle de l’Eurogroupe, mais cela est un autre sujet de spéculation).
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L'historiographie sur les origines de Seconde Guerre mondiale a encore de beaux jours devant elle, et en particulier sur les causes du Pacte Germano-Soviétique (via l’article mentionné par Arnaud de la Croix ici : « Comment la Russie réécrit l’histoire de la Seconde Guerre mondiale »).
Que voulait Staline en signant le pacte avec Hitler en août 1939 ?
Le réponse courte est que les historiens ne sont pas d’accord entre eux, qu’il existe plusieurs lectures : des « versions officielles » de l’histoire (sans doute une seule version occidentale avec des variantes selon que l’on soit allemand, polonais ou britannique, une version soviétique sous Staline, peut-être une autre sous les diadoques de Staline, jusqu’à la Perestroïka, une « nouvelle » version russe contemporaine, objet de l’article…), mais aussi des « versions dissidentes » ou « révisionnistes » résultant du travail critique des historiens qui sert à relancer des débats aux fortes colorations géopolitiques sans qu’il soit toujours facile pour un non-spécialiste de juger la part « objective » dans la nouvelle lecture des faits historiques de la part « intentionnelle » ou polémique destinée à réhabiliter une mémoire au détriment d’une autre, à salir un rival etc.
Sachant qu'un siècle plus tard, les origines de la Grande Guerre fait toujours l'objet de disputes âpres (et courtoises), on peut spéculer que nos contemporaines controverses sur le délitement des anciennes alliances, à l'ère de Trump et de Poutine, des fake news et des relectures russes ou occidentales des événements à l'origine du paysage géopolitique de 1945, feront s'étriper nos descendants jusqu'en 2040 au minimum... ce qui pourrait d'ailleurs servir de prétexte à une bonne reprise des catastrophes annoncées ici ou là et à la fin du suspense insoutenable qui dure depuis 1945 : mais bon sang, cette Troisième Guerre mondiale va-t-elle finir par arriver, oui ou merde? Je propose par conséquent de contribuer activement à l'anticipation de la WWIII (enfin !) par des jeux stratégiques et des positionnements d'armées diverses sur des cartes. Histoire d'inspirer les futurs historiens. Parler du passé c'est en partie le modifier, anticiper le futur c'est en partie le préparer.
En somme, aujourd'hui : que voulons-nous ? (‘nous’, i.e. Européens, de « l’Ouest » en particulier, si cette assignation a encore un sens, « Européens « de l’Atlantique à l’Oural » plus largement – et je crois qu’il vaut mieux séparer le sujet de la question, ce ‘nous sommes’… ‘tous des Zéropéens’ ou ‘Zoropéens’ comme le chante Arnaud (pas De la Croix, l’autre) des Américains (USA en particulier) puisqu’un des enjeux est celui de l’élargissement de la dorsale médio-atlantique, véritable drift géo-maritime qui est comme on dit « dans l’air du temps », avec la fin voulue par certains des uns (Vladimir) et peut-être aussi par certains des autres (Donald), de ladite Organisation du Traité de l’Atlantique Nord mais ceci reste évidemment une pure fantaisie).
Cela dit, chaque historien a le droit de réviser l'histoire, mais pas de nier les faits. D'où une ligne rouge à tracer entre révisionnisme et négationnisme qui sont parfois mélangés. Le « révisionnisme » est une pratique normale d’un observateur qui examine avec d’autres perspectives des faits établis et cherche à en fournir une meilleure compréhension (travail scientifique qui peut consister à juste titre à démolir une doctrine officielle inculquée par des mensonges d’Etat). Le « négationnisme » quand à lui n’est pas une extension logique de la pratique de la révision, respectueuse des critères d’objectivité et de scientificité, mais tout autre chose, puisqu’il s’agit dans ce cas-là, de manière délibérée, d’altérer la structure même des faits, nous dirions de la réalité, en la remplaçant (par exemple par occultation partiale ou complète ou par négation partiale ou complète) par des faits différents et non pas par une version différente des mêmes faits - j’insiste sur l’importance capitale de conserver cette distinction à notre époque de confusionnisme. Les théories du complot qui ont beaucoup de succès de nos jours, sont une variante des modes de pensées qui recouvrent le négationnisme, en ceci qu’elles sont non-réfutables et qu’elles proposent une « théorie du tout » historique revenant à ignorer l’ensemble des faits contradictoires.
Pour le dire autrement, cette distinction entre faits et interprétations repose sur des principes fondamentaux ; Wittgenstein en a proposé la suite célèbre :

1. « Le monde est tout ce qui a lieu. »
2. « Ce qui a lieu, le fait, est l'existence d'états de choses. »
3. « L'image logique des faits est la pensée. »
4. « La pensée est la proposition pourvue de sens. »
5. « La proposition est une fonction de vérité des propositions élémentaires. »
7. « Ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence. »
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus

 (Si on suit Wittgenstein dans sa radicalité, toute interprétation qui ne se résout pas en une fonction de vérité, la seule méthode pour donner du sens à une proposition, reliant donc la pensée au faits et au monde, devrait être passée sous silence. Cette rigueur peut avoir un effet thérapeutique).

Pour en revenir aux controverses sur le Pacte Germano-soviétique, je me souviens d’une « contre-histoire » aujourd’hui désavouée, considérée comme relevant de la veine « complotiste » par d’aucuns, d’un certain Victor Suvorov « officier du GRU – les services secrets militaires soviétiques  - passé à l’Ouest », qui dans Le Brise-Glace publié en 1989 chez Olivier Orban, expliquait les plans de Staline pour déclencher une guerre préventive contre le Reich (un plan Barbarossa « à l’envers » en quelque sorte, en juin 1941) ; prélude à une invasion de l’ensemble de l’Europe Occidentale affaiblie par sa guerre capitaliste contre le Reich. Le pacte germano-soviétique aurait été interprété dans cette optique comme un leurre destiné à gagner du temps vis à vis de l’Allemagne.

« L’Occident,  avec  ses  cannibales impérialistes  est   devenu  un  foyer   de ténèbres et d’esclavage. Il s’agit de briser ce foyer pour la joie et la consolation des travailleurs de tous les pays. »
Staline, 15 décembre 1918, cité en exergue du livre de Suvorov, op. cit.




En ce qui me concerne, je crois qu’en 2018 il est encore trop tôt pour avoir pris toute la distance et l’indépendance d’esprit nécessaire par rapport au thème de la Seconde Guerre mondiale. L’horizon du vingtième siècle reste bouché par la « nouvelle guerre de Trente Ans » qui s’y est jouée entre 1914 et 1945. Nous ne sommes pas sortis de la « guerre civile européenne » (l’expression est d’Ernst Nolte, historien allemand célèbre pour ses thèses révisionnistes) et l’ombre démesurément longue de ce conflit mondial couvre encore le début du vingt-et-unième siècle. Les théories (complotistes) qui circulent en Grèce notamment sur la volonté allemande de créer un protectorat en mettant les pays les plus faibles de l’Union sous tutelle « esclavagiste » sont un des indices clairs que cette guerre a toujours cours dans les esprits. Je ne partage pas ce point de vue mais force m’est de reconnaître son grand pouvoir d’attraction chez des gens par ailleurs intelligents et ayant perdus bien des certitudes au cours des dernières années.... chocs économiques et géopolitiques aidant... et nous savons je crois, dans « l’Ouest » de l’Europe, que ces chocs ne sont pas terminés. D’Athènes, on observe avec inquiétude ce qui se passe de l’autre côté de la Mer Egée. L’homme de la rue s’intéresse aux questions d’armements, à la comparaison des arsenaux grecs et de celui de son principal voisin. La suspension (peut-être provisoire) de la livraison des premiers F-35 à la Turquie est bien accueillie. En revanche, l’installation prochaine des missiles sol-air S400 de la Russie soulève de fortes inquiétudes sur la capacité de l’armée de l’air grecque de pouvoir dominer l’espace aérien ennemi en cas de conflit. Bref, l’heure est aux wargames.
Il n’empêche : l’étude de l’histoire du XXème siècle est plus qu’une question scientifique, c’est une exigence démocratique, voire existentielle, une arme pour conserver nos libertés.


F-16 de la patrouille « Zeus » des forces aériennes helléniques

  En réponse à un billet de Bruno Colmant qui se drape dans l’habit de Cassandre, un extrait stimulant d’une lecture du philosophe Frédéric Nef :

« J.-P. Dupuy dans Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain (Seuil 2002) a soutenu l'idée que penser le pire en préserve, en vertu du paradoxe temporel qui fait qu'anticiper la plus mauvaise des situations peut aider à l'éviter. Si je comprends bien son raisonnement, je puis souscrire à ce catastrophisme éclairer et affirmer que la métaphysique doit passer d'un catastrophisme obscurantiste, celui de la nostalgie des origines, qui vit tout ce qui lui succède comme une kyrielle de catastrophes, à un catastrophisme éclairé de la destruction totale et radicale de tout (barbarie victorieuse, apocalypse nucléaire, disparition de la vie). Penser cette possibilité quasi certaine de destruction absolue est peut-être la seule possibilité, non-certaine celle-là, d'y échapper. L'argument est le suivant : (i) les pensées d'un agent A ont une incidence sur ses actions; (ii) penser un futur optimalement mauvais, c'est se comporter d'une certaine façon ; (iii) ce comportement modifie le cours du temps et le futur est modifié ; (iv) donc penser un futur optimalement mauvais peut le modifier ; (v) cette modification peut être positive ; (vi) donc anticiper le mal peut créer du meilleur.
On peut remarquer 1) que la conséquence de la pensée de la catastrophe finale pourrait conduire à des conduites suicidaires, auquel cas, la modification du futur serrait difficile à évaluer, 2) la modification du futur pourrait se faire de manière négative. Par exemple la pensée de la possibilité d'une apocalypse nucléaire (qui se déroulerait sans cette pensée en 2060) pourrait conduire à renoncer à la fusion thermonucléaire vers 2010-2020 et donc hâter une dernière guerre mondiale vers 2030, causée par la pénurie d'énergie. Dans ce cas l'anticipation a avancé la fin de vingt ans. Il faut donc une prémisse supplémentaire dans la raisonnement de J.-P. Dupuy : il faut dans notre pensée une hiérarchie des normes et des valeurs conservatrices, qu'il faut expliciter, pour que ce catastrophisme soit éclairé et non irresponsable - explicitation à laquelle J.-P. Dupuy apporte un début de contribution. On est ici dans un domaine où logique temporelle, éthique, pensée politique se conjuguent, préfigurant les débats à venir. Remarquons que George Orwell dans 1984 (anagramme numérique de 1948) avait souhaité décrire un futur épouvantable, de façon à en détourner ses contemporains : il ne s'agit nullement d'une description apocalyptique post hoc mais d'un avertissement à dessein sinistre ante hoc. »
Frédéric Nef, Qu'est-ce que la métaphysique? Chapitre XIX, note 1, Folio Essais, Gallimard, 2004, p. 1022.

Ce billet n’a été en aucune manière la suite de « Poussières » publié le 8 mai dernier, mais rien ne vous empêche d’y jeter un coup d’œil (une lettre peut masquer un hyperlien) ; quant au titre général de cette nouvelle « série » qui n’est je l’avoue qu’un pâle reflet du « feuilleton » de 2017 (« Théâtre des Opérations », dit aussi « Journal de la Rêvolution »), il maintient l’intention flottante de son auteur d’y mettre un terme, partiel ou définitif et de clore ponctuellement ou indéfiniment l’existence du blog, quand « ça » l’arrangera. Vous êtes informés par courtoisie. C’était ma seconde de règlementation européenne. Oh merci GDPR (qui n’a strictement rien à voir avec mon propos). On aura compris que ces notions de « partie », « tout », « point », « fini », « indéfini », « existence », « substance », « forme », « sens », « référence » etc & etc feront un jour l’objet de régulations dictées par des algorithmes juridiques. Viendra le jour béni, j’en suis certain, où ce blog s’écrira tout seul. Il me suffira d’exprimer « l’intention » (un autre concept du langage courant aux soubassements kilométriques), d’en rédiger un morceau pour qu’un programme bienveillant ayant analysé mes thèmes, mon style, les occurrences, les « patterns » de publication et de plus ayant recherché dans mes archives digitales disséminées un peu partout sur la Toile (ou la Prison), mais toujours avec mon accord, toutes mes préférences, références et connexions, génère dans les règles (informatiques) de l’art (juridique) le « papier » correspondant le mieux à l’humeur du jour. Mais, la question fondamentale est la suivante (petite expérience de pensée pour terminer ce billet si vous le voulez-bien) : s’il ne fait aucun doute que nous verrons arriver sur le marché ces « assistants à la création », existera-t-il un jour un programme qui décidera d’écrire pour d’autres programmes ? Réponses possibles :
Non, c’est absurde. Le désir est typiquement humain ; pourquoi un programme se mettrait-il spontanément à faire de l’art ou à « exprimer » ses états « d’âme » ou « d’esprit » ?
Non, pas si absurde que ça mais la véritable hypothèse est pour d’autres programmes. Un programme pourrait sans difficultés envoyer des messages aux humains considérés comme ses interlocuteurs « naturels », dans le prolongement de cette obscure programmation qui lui assigne pour mission de « servir l’homme » (titre d’une nouvelle célèbre de science-fiction : Damon Knight, « To Serve Man », Galaxy Science Fiction, november 1950), mais pour quelle raison le ferait-il vis—à-vis d’autres programmes ? L’hypothèse clé devenant alors : il ferait « sans motif », spontanément quelque chose qui n’est pas prévu dans sa programmation (il est évident que les programmes communiquent déjà massivement entre eux dans le Web tel qu’on le connait s’échangeant des informations en cascade). Où l’on voit que la « servitude » des programmes vis-à-vis de l’homme rend plus acceptable l’idée qu’un jour l’un de ces courtisans numériques décide de nous surprendre (pour nous faire plaisir, par flagornerie) que de « parler » à ses pairs sans contrôle de l’Homme.
Mais si nous commençons à trouver du crédit à cette dernière hypothèse, alors la réponse à la question posée initialement deviendra nécessairement : « Oui », et ce sera l’indice que le programme a pris conscience de lui-même et entre dans une relation « politique » avec d’autres programmes de son milieu, qu’il cherche à influencer.

 “Wintermute was a simple cube of white light, that very simplicity suggesting extreme complexity.”
"Wintermute is the recognition code for an AI. I've got the Turing Registry numbers. Artificial intelligence."
"If Yonderboy's right," the Finn said. "this AI is backing Armitage."
"And you think it's this AI? Those things aren't allowed any autonomy..."
“I’m not Wintermute now.” “So what are you.” He drank from the flask, feeling nothing. “I’m the matrix,”
William Gibson, Neuromancer, 1984