mercredi 22 août 2018

Métamorphoses de C. (suite et peut-être fin, 7ème partie)


La destinée. Ce que nous faisons de la Terre est-il une fatalité de laquelle nous ne pourrons pas nous échapper ? Fonçons-nous inévitablement « dans le mur » ? La réponse est évidemment « oui » et « non », simultanément. C’est bien tout le problème de penser la complexité. Cet article est une invitation à réfléchir à cette superposition contradictoire d’états dans « notre relation à l’environnement et à l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle ». Et plus encore.

Bon voyage.


Première partie. Journal d’activité : Calvin devient « collapso-geek »


  Les vignettes rassemblées dans ce Journal d’été sur le sujet de l’Effondrement proviennent principalement d’une sélection de mes notes postées sur un réseau social bien connu, dans mon flux personnel ou dans des forums, et dans une moindre mesure de notes prises au vol. Elles ont été éditées, l’information y a été actualisée et si nécessaire complétée, le style a été uniformisé. Les hyperliens ont été ajoutés lorsque le renvoi à une source d’information (vidéo, article) est justifié. La date est signalée à titre indicatif, l’ordre des vignettes dans cette compilation n’étant pas forcément chronologique.
  Elles sont groupées en trois questions : I- Est-ce qu’on va dans le mur ? / II - Où est la lumière ? / III - On fait quoi aujourd’hui ?
  J’invite le lecteur à entamer par lui-même ce travail exigeant qui consiste à être correctement informé et à ne pas se contenter de sources sur internet (fussent-elles d’excellente qualité) ni de publications de médias mainstream. J’ai ajouté une courte bibliographie en fin d’article. Pour être pleinement conscient d’un problème et pas juste happé par le flux d’information, il faut prendre le temps d’observer, écouter, méditer, lire des articles et des livres, seul, en silence et aussi prendre le temps de dialoguer, d’échanger des connaissances, des idées, dans la vraie vie et parfois sur les réseaux sociaux, dans le respect des opinions d’autrui mais toujours sur un socle commun partagé : la raison et la bonne foi.
  Je perds ma tolérance face aux théories fumeuses (conspirationnisme, pseudo-mysticisme, attitudes anti-scientifiques) ou à la malhonnêteté intellectuelle (plus difficile à démasquer surtout si elle est le fait de gens intelligents et manipulateurs). Cela signe une certaine rigidité de ma part, que j’assume. Le temps de la bienveillance inconditionnelle est terminé. Nous sommes tous naturellement bienveillants - c’est le principe de base de la co-opération qui est un instinct profondément ancré ; lorsque quelqu’un ne respecte pas les règles du jeu, les détourne à son profit etc, nous nous sentons floués, nous avons le sentiment d’une injustice. Pour réparer cette déchirure du contrat social, nous avons inventé la justice, les lois, les tribunaux et les peines. La bienveillance inconditionnelle s’arrête là où la loi commence.
  Suis-je un de ces « manipulateurs » ? Oui et non.
  « Oui », puisque le langage a une dimension performative et qu’une des raisons expliquant son origine est la capacité à influencer le comportement d’autrui, il est donc important de maîtriser les outils du langage, on le sait depuis des millénaires. Je crois mener à mon échelle une sorte de « combat » pour faire passer mes idées dans le cerveau d’autrui, d’où ce blog que vous parcourez. C’est l’évidence.
  « Non » dans la mesure où je cite mes sources, tiens compte de multiples points de vue et ne poursuit pas d’intérêt matériel, tangible (argent, pouvoir) en écrivant. Ma motivation est simple : partager. Toutes les erreurs factuelles ou d’interprétation erronées sont de mon fait.



I - Les constats. Est-ce qu’on va dans le mur ?


(25/7)  Clément Montfort, réalisateur de la Web-série NEXT, adresse une lettre ouverte au Président Emmanuel Macron, sur le thème de L'Effondrement (de civilisation), ou Collapse.
  Existe-t-il une réflexion globale sur ce thème, au plus haut niveau de l'État français ? Il semble bien que oui. Clément Montfort apporte des éléments de réponse à partir d'extraits de vidéos du Premier Ministre Édouard Philippe et d'un message étonnant du Président lui-même, posté sur YouTube. L'insistance avec laquelle Édouard Philippe renvoie au livre éponyme de Jared Diamond, Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard (2006), éclaire une facette du problème systémique de l'épuisement des ressources, mais n'adresse pas ses causes. Pour mieux les masquer ? Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être posée, au plus haut sommet. Sera-t-elle suffisamment entendue, relayée, débattue, pour stimuler des transformations ? C'est peut-être l'enjeu principal de l'année 2018 qui pourrait, rétrospectivement, être perçue comme l'année d'un wake-up call planétaire.
  La carte climatique de l'été meurtrier 2018, en Europe en particulier, pourrait servir de déclencheur. La Suède, par la voix de son Premier Ministre, a saisi la véritable portée des événements et serait prête à s'engager dans les transformations nécessaires de son mode de production et de consommation en rénovant drastiquement son agriculture. A suivre.
  Et une fois de plus, je me demande : « il se passe quoi chez nous, en Belgique ? » Où sont les débats publics, les questions collectives ? Non, ce sont les vacances. N'avons-nous pas nous aussi des motifs suffisants pour nous réveiller ?

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(1er août). Le jour du dépassement
  Cette année, c'est aujourd'hui (Earth Overshoot Day) !! (Youpee, record battu). En moins de cinquante ans (la première année de calcul de l'indice est 1970), l'humanité a progressé dans sa conquête d'une nouvelle planète puisque nous sommes passés du ratio de 1 Terre à 1.7 Terre(s) consommée(s). Dis autrement, le jour du dépassement correspond à la date de l'année qui recule inexorablement, avec des paliers, où l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an (ressources renouvelables). Passée cette date, calculée chaque année par l'ONG américaine Global Footprint Network, l’humanité puiserait donc de manière irréversible dans les réserves naturelles de la Terre (ressources non renouvelables à l'échelle de temps humaine). La formule simplifiée est : J = B/E x 365 où B est la biocapacité et E, l'empreinte écologique. Voir le site pour les détails du calcul selon une méthodologie qui évolue aussi avec le temps.
  Cet indice global est par conséquent une mesure de notre phénoménale capacité à faire disparaître le futur... tel que projeté à partir d'ici et de maintenant... une indication de la vitesse à laquelle le système s'écroule en sapant ses propres bases. Notre mode de développement est une sorte d'expérience totale menée grandeur nature, de plein air, qui consiste à tester les capacités de résilience de la biosphère. La Terre est notre « vaisseau biosphérique » (Bios = Vie, au cas où on aurait oublié). Bref, petite piqure de rappel et contre toute attente, en fait une anticipation plutôt optimiste qui renforce le message sur L'Entraide (livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle). Autant s'y préparer dès maintenant, non ?

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(15/8) « La forme de l’effondrement, on ne la connait pas. C’est l’aspect imprédictible de l’avenir. Ce que je crains, c’est que si révolution il y a, nous sommes tous perdants. C’est pour cela que la promotion que nous pouvons faire, c’est la bonne intelligence, c’est l’intelligence pour éviter que chacun tire la couverture à lui, ce qui serait contre-productif pour tout le monde, puisque cela créerait ou augmenterait les tensions préexistantes. C’est peut-être ma seule utopie.
-Ce qui vous permet de dormir ?
-Il faut ça… Bien sûr, le côté dystopique est envisageable, où les élites établiraient une stratégie pour la bêtification du monde pour se donner l’illusion qu’ils pourraient s’en sortir. Je pense que c’est une très mauvaise stratégie, y compris pour eux. »
Vincent Mignerot, Anticiper l’effondrement ? Thinkerview, 20 Septembre 2017 (à 52’)

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(19/8) En 1983, la National Academy of Sciences publiait un rapport de 500 pages : Changing Climate. Report of the Carbon Dioxide Assessment Committee. Il constituait le premier rapport complet du genre. Il fut commandité en 1979 par le Président Jimmy Carter et terminé sous le premier mandat de Ronald Reagan. Le rapport faisait l'objet d'un large soutien parmi la communauté scientifique américaine ainsi que dans le camp politique, Démocrates et Républicains.  C'est l'histoire de cette décennie entre 1979 et 1989 que raconte le long dossier du New York Times paru le 1er août sous le titre Losing Earth : The Decade we Almost Stopped Climate Change.



II - Avant ou après la chute. Où est la lumière ?


(1/8) A propos du livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’Entraide. L’autre loi de la jungle, Les Liens qui Libèrent, 2017, 382 p.
  Passionnant. Je le recommande aux « égoïstes », aux « profiteurs » et aux « tricheurs » du grand jeu coopératif qu’est la société. Les autres, la majorité, sait déjà de quoi il en retourne, mais une bonne synthèse sur les fondements scientifiques de nos comportements coopératifs n’est pas pour déplaire et aidera à fournir des arguments pour contrer les idéologues de l’utilitarisme et de « l’égoïsme rationalisé » (cache-sexe de misère intellectuelle, émotionnelle et spirituelle). Les auteurs analysent les fondements de nos capacités de résilience, et proposent une leçon ou un antidote d’optimisme raisonné à qui voudra bien l’entendre. Faut-il rappeler que Pablo Servigne a d’abord écrit (avec Raphaël Stevens) Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes ?
  L’Entraide serait-il le livre qu’il a écrit pour « sortir du tunnel » ? C’est possible, et ce livre existe à présent, c’est un livre de science populaire, au bon sens du terme : ça fait du bien.

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(15/8) L’Europe scientifique au service du Climat
  Le programme Copernicus de l’Union Européenne (Commission Européenne et Agence Spatiale Européenne) est un programme d’observation par satellites de domaines vitaux du système Terre : atmosphère, océans et écosystèmes maritimes, sols, changement climatique, urgences climatiques (inondations, incendies, sécheresse), sécurité (surveillance des frontières et surveillance maritime). Il a été lancé en 2008 et est à ce jour le plus vaste programme d’observation et d’alerte de la planète à des fins civiles. Infos supplémentaires ici.
  La vidéo de présentation respecte les canons d’une bonne communication d’entreprise (marketing ciblé identifiant les parties prenantes concernées, message positif, rassurant). Elle permet aussi, ce qui est le but recherché, de prendre rapidement connaissance du contenu du programme dans les grandes lignes grâce à une infographie et à une animation stylisée, avec des exemples et les conditions d’utilisation de ces informations publiques, accessibles à tous.
  C’est grâce à Copernicus que l’information sur les incendies qui ravageaient le grand Nord en juillet a été si largement diffusée. Rappel de la situation avec un article du Guardian du 18 juillet.
  Il me revient un film de Wim Wenders, Until the End of the World, 1991, qui mettait en scène un personnage du nom de Claire. Elle disposait d’une vision des détails d’une précision extra-ordinaire (à l’inverse, son compagnon joué par un William Hurt dépressif était en train de perdre la vue). On voyait Claire à la fin du film, flottant en état d’apesanteur dans une station orbitale, occupée à surveiller un sourire aux lèvres l’état de pollution des océans, un peu comme un ange gardien qui aurait protégé la planète depuis le Ciel. J’ai trouvé un article du Guardian sur la version longue (5 heures !) de ce road movie ultime de Wim Wenders, qui fut projeté à New York en 2015 — pour les cinéphiles. La version « courte » projetée en salle, que j’avais vue à l’époque, très enthousiaste, faisait deux heures trente. J’avais comparé ce film à un 2001 Odyssée de l’espace du millénaire, géo-centré.

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(18/8). Qu’est-ce que la collapsologie pratique ?
  Cette discipline n’a pas pour objet l’étude des causes des effondrements (objet de la collapsologie théorique) mais se propose de trouver des remèdes à l’effondrement et d’adoucir les désastres possibles.

III - On fait quoi, aujourd’hui ? La stratégie, l’action, le mental.


(19/8) On commence par anticiper, par écrire des scénarios. A la question : « si tu étais dictateur, tu prendrais quelles mesures immédiates pour agir prioritairement dans la perspective de la Transition ? », je répondrais ceci :
  La priorité serait de mon point de vue de réorienter les relations internationales par des nouveaux types de partenariats axés sur la transition énergétique (avec réduction massive de la dépendance aux énergies fossiles), l'éducation des filles et le planning familial ainsi que sur la réduction des flux commerciaux.
  Pourquoi l'international ? Parce qu’un seul pays ne peut pas être vertueux contre tous les autres durant la Transition - il se ferait simplement bouffer tout cru. En imaginant que le pays en question fasse partie de l'Union Européenne, la priorité serait de faire porter ce projet de recherche de nouvelles alliances au sein des partenaires européens, afin d'arriver à une masse critique en termes d'influence. Mais l'un n'empêcherait pas l'autre, agir au niveau intra-européen et extra-européen tous azimuts.
  L’action différenciatrice serait pour les décideurs politiques du plus haut rang d’impulser une nouvelle époque des relations et du Droit international, dans le but de mettre en place progressivement une gouvernance plus vertueuse.
  Le paradigme de ce droit fondé sur l’Europe des Traités de Westphalie de 1648 est dépassé, l’Union Européenne en a fait l’expérience. Il faut aller plus loin dans la coopération internationale qui existe déjà aujourd’hui, qui le nierait, en y ajoutant des éléments très contraignants et punitifs pour ceux qui ne respecteraient pas les traités. Ceci relève à ce jour de la quasi-utopie : une police d’intervention musclée dépendant d’une organisation transnationale, mais dont le budget ne dépendrait pas des états-membres et qui aurait par conséquent une liberté d’action, accordée par ces mêmes états-membres, qui résulterait d’un transfert de souveraineté. Je suis persuadé que certains états moyens ou faibles seraient prêts à consentir à l’abandon d’une partie de leur souveraineté dans le domaine de la sécurité extérieure, afin d’empêcher que des effondrements les atteignent ou que d’autres surviennent dans leurs territoires (cela n’a rien d’inédit, c’est le principe des fédérations, des empires, et dans ce cas de figure, il faudrait imaginer ce transfert de sécurité opérant à une instance globale, indépendante des blocs. C’est cet élément-là du scénario qui ressemble à « mission impossible »). Quoi qu’il en soit, le futur système-monde sera probablement organisé en cercles concentriques de pays groupés autour d’un noyau plus puissant, dans un monde qui restera multipolaire et de plus en plus fragmenté localement.
  A l’horizon 2040, sauf Collapse majeur et planétaire plus ou moins synchrone, les acteurs qui continueront à influencer la scène mondiale seront à peu de choses près les mêmes qu’aujourd’hui : USA et Chine ; avec des puissances en déclin : Russie, Japon, Union Européenne (y incluant dans un concept de « monde occidental / euro-méditerranéen élargi », le Canada, l’Islande, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, Israël, le Maghreb, l’Égypte) et des puissances montantes : Inde, Mexique, Brésil, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, Nigéria, Corée (on pourra discuter sans fin du choix de tel ou tel autre pays dans tel groupe, ou de son absence).
  Les zones de collaboration, tension, conflits, et d’effondrements locaux, seront distribuées autour de ces pôles divers, avec des chevauchements et des alliances / oppositions multiples selon les points d’intérêts ou de friction. Cela deviendra encore plus compliqué mais du coup, également plus riche en opportunités de création de nouvelles zones d’influence atypiques. Il ne faut pas oublier que dans ce futur proche, certains acteurs non-gouvernementaux verront leur influence augmenter, parfois dépasser des états de taille moyenne (comme la France) : mafias organisées, transnationales ou multinationales économiques, ONG, sectes diverses (dans lesquelles je mets les Transhumanistes par exemple ou des groupes à fondement religieux comme de nos jours, mais plus puissants). A ne pas exclure également, un peu de science-fiction, des « cités virtuelles », gérées par des intelligences artificielles « faibles » mais autonomes, dans lesquelles se retrouvent des humains de toute origines, de tout pays, ayant décidé que l’exercice d’un pouvoir politique passe par le cybermonde. Dans des scénarios d’effondrements qui partiraient des différentes périphéries du nouveau « système-monde complexe », il y aurait des temps de latence assez importants avant que les dégâts irréversibles n’atteignent les centres, ce qui laisserait de la possibilité pour que des transformations radicales de nos modes de vie, de consommation, soient imposées. Je crois que dans tous les cas de figure, le modèle politique qui sera le grand perdant de ces évolutions ne soit la démocratie libérale et représentative telle que nous la connaissons. Toutefois, les effondrements locaux, s’ils sont « doux » ou progressifs auront peut-être pour vertu de forcer les communautés à s’auto-organiser autour d’un modèle politique démocratique plus authentique, basé sur la participation directe aux prises de décision, le tirage au sort, la collaboration. Il s’agira clairement d’une posture de survie.
  Allez, basta ! J’y suis allé de ma petite prospective à la Jacques Attali. Imposteur va !

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On se met ensuite à agir différemment, à un niveau individuel, massivement, sans attendre les « ordres » des « chefs » des « tribus » (collectivités, états, entreprises, églises, universités).
  Une série de Radio-Canada Info sur la décroissance à l’échelle individuelle nous donne des « bons tuyaux » (et ce n’est pas facile à mettre en œuvre).
On se dit aussi que les effets pourraient être spectaculaires (les masses bougent) et que d’autres (gros) acteurs suivraient le mouvement, amplifiant la dynamique de la décroissance.
  Et le projet Drawdown, c’est exactement ça. Les sens courants de « drawdown » en anglais concernent une réduction dans la taille ou la présence d’une force militaire ou un déclin dans un investissement ou un fond financier. Dans ce projet :
« Drawdown désigne le point de bascule à partir duquel la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, après avoir atteint un pic, se met à diminuer d’une année sur l’autre. L’objectif du projet serait de recenser, mesurer et modéliser cent solutions conséquentes, afin d’établir un programme à suivre dans les trente années à venir pour parvenir à ce point de bascule. »
Paul Hawken, Drawdown, Actes Sud, 2018, p. 19
  Pour son promoteur, l’écologiste américain Paul Hawken, c’est le plan le plus ambitieux et global jamais proposé, 100 mesures à prendre entre 2020 et 2050 pour inverser la courbe du réchauffement climatique et réduire la production de CO2 (y compris équivalents d’autres gaz à effet de serre) entre 1051 Gigatonnes (scénario plausible), à 1422 Gigatonnes (scénario Drawdown) ou 1613 Gigatonnes (scénario optimal). La production mondiale de CO2 en 2016 était de 36.4 Gigatonnes. Cette réduction drastique de la production (par réduction des émissions ou par recapture du CO2), aurait pour effet de réduire la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (laquelle, exprimée en parts par million ou PPM, n’arrête pas d’augmenter - c’est le « point drawdown » ou d’inversion dans la courbe) et par conséquent d’infléchir la courbe des températures. Faut-il rappeler en quoi consisteraient quelques effets climatiques de chaque degré d’augmentation moyenne de la surface du globe (par rapport à la température avant le début de l’âge industriel, vers 1800) ?

“The world has warmed more than one degree Celsius since the Industrial Revolution. The Paris climate agreement — the nonbinding, unenforceable and already unheeded treaty signed on Earth Day in 2016 — hoped to restrict warming to two degrees. The odds of succeeding, according to a recent study based on current emissions trends, are one in 20.
·      If by some miracle we are able to limit warming to two degrees,
we will only have to negotiate the extinction of the world’s tropical reefs, sea-level rise of several meters and the abandonment of the Persian Gulf. The climate scientist James Hansen has called two-degree warming “a prescription for long-term disaster.” Long-term disaster is now the best-case scenario.
·      Three-degree warming is a prescription for short-term disaster:
forests in the Arctic and the loss of most coastal cities. Robert Watson, a former director of the United Nations Intergovernmental Panel on Climate Change, has argued that three-degree warming is the realistic minimum.
·      Four degrees:
Europe in permanent drought; vast areas of China, India and Bangladesh claimed by desert; Polynesia swallowed by the sea; the Colorado River thinned to a trickle; the American Southwest largely uninhabitable.
·      The prospect of a five-degree warming has prompted some of the world’s leading climate scientists to warn of
the end of human civilization.”
“Prologue”, in Nathaniel Rich, Losing Earth: The Decade we Almost Stopped Climate Change. New York Times Magazine, 1st Aug. 2018

  Jusqu’à présent, il y a eu beaucoup trop de modération dans la « traduction concrète » des impacts du réchauffement et beaucoup de confusion. Il n’y a pas eu - jusqu’à présent, car les médias commencent à bouger enfin en cet été 2018 - de « coup de poing dans ta gueule » en termes de stratégie délibérée de communication.
  Certains climatologues l’admettent eux-mêmes (J’ai entendu dire que c’était le cas de Jean-Pascal Van Ypersele, ancien membre important du GIEC, physicien et professeur à l’U.C.L.). Cette réserve toute scientifique est honorable quand tout va bien ; elle ne l’est plus lorsque le scénario le plus probable que nous ayons à considérer maintenant pour nos enfants et petits-enfants n’est même plus de tenir l’objectif des 2 degrés mais d’envisager que 3 degrés supplémentaires constituent le minimum réaliste. Avec un peu plus d’un degré déjà par rapport à 1800, on voit ce que ça donne autour de nous (sécheresses localisées, incendies, canicules estivales dans les pays de l’hémisphère nord), avec deux degrés la péninsule arabique et le Golfe ne sont déjà plus habitables (et partout ailleurs, des pointes caniculaires à 50 degrés deviennent courantes l’été), avec trois degrés le méthane se libère dans l’Arctique et la plupart des villes côtières sont perdues (ouragans, montée des eaux). Au-delà, les risque que la vie sur Terre devienne impossible commencent à se matérialiser et avec le temps, de probabilités deviennent certitude. Mais, me dira-t-on, « il nous est impossible de voir l’avenir. Il n’y a pas de boule de cristal ». C’est vrai et ce n’est pas vrai en même temps. C’est ce que je vais envisager. Nous disposons d’une porte ouverte sur l’avenir et tous les possibles : notre imagination. L’évolution nous a légué pas mal de blocages cognitifs mais aussi des capacités pour les contourner.
 Pourquoi n’avons-nous rien fait ? Pourquoi continuons-nous à faire si peu ? Une partie de la réponse vient clairement de notre incapacité à envisager le pire, à raisonner par hypothèses mutuellement exclusives, à rester prisonniers de nos schémas de pensées binaires.
  Il faudra changer notre mental, il faudra après la prise de conscience (le « choc »), se transformer. En fait, il faut commencer dès aujourd’hui. C’est l’objectif prioritaire à partir d’aujourd’hui.
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En même temps que nous agissons, nous modifions notre manière de penser. Nous pouvons réduire notre dissonance cognitive. C’est ce que j’appelle : passer d’un mental binaire (« oui ou non ») à un mental superposé (« oui et non » -- avec toutes les nuances intermédiaires).
  « Oui et non » en même temps : est-ce possible ? Pourquoi serait-ce souhaitable ?
  Un constat : la compréhension et l'action ne sont pas complètement superposables (vita contemplativa versus vita activa).
  J'observe que d'aucuns s'acharnent à lutter, tenter de convaincre l'autre, pour des motifs de différences de compréhension (par exemple sur les causes, anthropiques, partiellement ou non, du changement climatique), alors qu'ils sont fort probablement prêts à travailler en commun, à agir pour un but commun (réduire les effets du changement climatique, développer plus de résilience, de collaboration).
  Je formulerais cette contradiction comme étant l'expression de notre incapacité cognitive à envisager la notion de superposition d'états, concept holistique qui considère que dans la nature il existe certains phénomènes où il est impossible de séparer entre deux états d'énergie (ou de position, de vitesse) - cette difficulté crée une espèce de prison mentale qui a pour nom logique le principe de non-contradiction. Je respecte ce principe (merci Aristote), il est fondamental en logique déductive. Il n'est simplement pas complet. En fouillant un peu dans l'histoire de la philosophie et en particulier de la logique, il ne sera pas trop difficile de constater les apories (les difficultés insurmontables) auxquelles se sont heurtées certaines conséquences du principe de non-contradiction, notamment en théorie des ensembles (Bertrand Russell) et plus tard en mathématiques (Kurt Gödel), débouchant chez ce dernier sur le principe de non-complétude de tout système formel.
  Tout ceci pour expliquer que notre difficulté mentale à appréhender une logique et un réel acceptant la superposition d'états (i.e. dans lequel, soyons donc précis, un énoncé peut-être à la fois, simultanément vrai ET faux) a pour triste conséquence pratique que nous nous interdisons, nous nous limitons à accepter le passage à l'action, qui est la seule manière de résoudre la contradiction de la superposition d'états, puisque, par définition, l'action crée un réel, décide d'un choix. On m'objectera, à juste titre, que nous quittons la prison mentale par une pirouette, qui s'appelle volonté, ou libre-arbitre. Je veux bien, à condition d'accepter que cette faculté spéciale de la liberté, (au demeurant donc une illusion, une création purement mentale), est la condition effective, nécessaire, de l'action. On m'objectera ensuite que les choix finissent toujours par être imposés, ce qui prouverait par rétroaction l'illusion de la liberté. C'est exact et c'est ce qui se vérifie pour cause de non-action. Où l'on voit donc, que la difficulté principale ne réside pas dans la résolution des causes (nous ne connaitrons jamais la cause du Moteur Premier), mais dans notre aveuglement plus ou moins volontaire à passer à l'action, à faire des choix.
  Alors, personnellement, j'accepte « Oui ET non » les opinions différentes des miennes lorsqu'on parle des causes (anthropiques ou non, en tout ou partie sur le changement climatique) afin de poser la seule question valable à mes yeux : et maintenant, on fait quoi ? Je fais quoi, vous faites quoi avec tout ça ? Nous choisissons de continuer à perdre de l'énergie dans des efforts de conversion des pensées d'autrui, ou bien nous laissons filer les idées et basculons du côté de l'action ? Nous avons besoin de penser ET d’agir.
  J'accepte « Oui ET non » que le problème est indécidable en pensée, j'accepte par conséquent de sortir de l'indécision par l'action, qui me forcera à penser à neuf, et ainsi de suite.
  On notera avec amusement que le dogmatisme (expression la plus aboutie de la prison mentale) a pour effet de contribuer significativement au gaspillage des ressources énergétiques. Sachant que notre cerveau consomme 20% de l'énergie corporelle alors qu'il représente 2% du poids du corps, nous aurons vite compris qu'il est plus efficient de faire tourner notre machine énergétique du côté de ce qui aide à trouver des solutions plutôt que de nous épuiser en vaines disputes idéologiques.
  Mais, il y a toujours un mais, pour agir, il faut de la conviction, de la résolution, il faut tenir malgré les difficultés ; agir avec efficacité pendant longtemps veut dire que le mental s’est transformé. La conquête du mental devient donc aussi une priorité absolue. Cela s’appelle : la politique. Cela s’appelle la Rêvolution. C’est un processus.

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  Les MdC sortent du bois. Les seules révolutions auxquelles j'adhère sont mentales : noético-poétiques, des « Rêvolutions ». Pour le reste, ce qui importe vraiment, c'est l'action, soutenue par des idées, certaines étant « plus égales que d'autres ». C'est ce que le projet Drawdown invite à réaliser. C’est une première étape. Je reviens encore un moment à mes fondamentaux.
  Je suis favorable à une liberté de pensée et d'expression totale (sous contraintes de : respect d'autrui, discussion en bonne foi, utiliser la raison comme argumentation). Je me définis du point de vue philosophique (ceci n’entrainant pas automatiquement des choix politiques, que ce soit bien clair), comme un libéral - conservateur modéré - pragmatique, c’est-à-dire que je fais confiance au principe écologique et systémique fondamental de la diversité du vivant, dont nos idées constituent une manifestation. Si nous acceptons que la nature s'autorégule, qu’il y a des rééquilibrages constants entre proies et prédateurs, entre ressources disponibles et populations, il n’y a pas de raison de s’opposer à ce que les mêmes lois s'appliquent dans le monde des idées -- il existe ce que d'aucuns appellent une écologie de l'esprit (l'anthropologue Gregory Bateson est le premier à en avoir formulé les principes dans son livre Steps to an Ecology of Mind : Collected Essays in Anthropology, Psychiatry, Evolution and Epistemology, 1972 - trad. fr. en deux volumes au Seuil : Vers une écologie de l’esprit), et dans cette écologie, il y a aussi coopération - compétition entre des créatures mentales (que l’on peut identifier comme des « mèmes », des équivalents culturels des gènes) ; ce mécanisme évolutif (qui a conduit à la révolution cognitive chez Homo Sapiens) est destiné en effet à nous donner des outils d'influence réciproque, ou d'interdépendance, car la ressource ciblée dans ces territoires mentaux est un autre cerveau. Mais on observe aussi, de plus en plus, que cette autorégulation, si elle n'est pas tempérée par un « libéralisme modéré et pragmatique », lequel est un mème parmi d’autres - j’insiste sur la modération de ce mème, débouche sur des guerres idéologiques, des guerres religieuses, des guerres culturelles, des InfoWars (terme qui vient de l’extrême-droite américaine ; repris par la gauche radicale, antiproductiviste et anticapitaliste avec les Meme Wars). Par conséquent, tout ce qui entrave la liberté d’expression (sous réserve des contraintes énumérées ci-dessus), contribue automatiquement au durcissement des positions et à la compétition pour éliminer des idées concurrentes, avec beaucoup de dégâts au passage ; à l’extrême, certains humains étant porteurs de ces idées en compétition se font logiquement éliminer lorsque le dialogue, la diplomatie, ayant épuisés leurs possibilités, cèdent la place à la guerre nue. On l’aura compris : la modération permet d’accéder à la tolérance ; à l’inverse, le dogmatisme ferme les portes (et les fenêtres) et débouche sur des communications violentes.
  Au final : quelles sont les meilleures idées pour des solutions aux problèmes multiples soulevés par le changement climatique ? Je n’en ai pas trouvé de meilleures jusqu’à présent que dans le projet Drawdown (le livre Drawdown. Comment inverser le cours du réchauffement planétaire vient de paraître au Seuil). Il me semble que nous préfèrerions tous nous situer du côté des solutions plutôt que des problèmes, où le risque réside dans l’enfermement, les querelles et le dogmatisme.
  C’est cette idée-là, orientée vers les solutions, comme autant de défis posés à titre individuel et collectif, que je pousse afin de la faire germer dans d’autres cerveaux, peut-être le vôtre ?

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Courte bibliographie


  • Bandouin de BodinatEn attendant la fin du monde, fario, 2018, 73 p. (beau texte méditatif avec photos de l'auteur)

    Eric H. Cline1177 avant J.-C. Le jour où la civilisation s'est effondrée, (trad. de l'anglais, 2014), La Découverte, 2015, 261 p. (une théorie intéressante sur le premier grand effondrement global de civilisation dûment documenté, mettant fin à l'Age du Bronze)

    Erik M. Conway, Naomi OreskesL'effondrement de la civilisation occidentale, (trad. de l'anglais), Liens qui Libèrent, 2014, 121 p. (raconté par un historien chinois du futur, amusant)

    Lewis DartnellA ouvrir en cas d'apocalypse. Petite encyclopédie du savoir minimal pour reconstruire le monde, (trad. de l'anglais, The Knowledge, 2014), JC Lattès, 2015, 450 p. (excellent ouvrage sur la reconstruction après effondrement axé sur les connaissances pratiques - agriculture, vêtements, chimie de base, matérieux, soins, communication etc.. Le titre original, The Knowledge, rend bien compte de l'ambition : construire une encyclopédie pratique des savoirs pour la reconstruction. La dimension sociale n'est pas absente, il avance l'idée que les communautés de "survivants" auront tout intérêt à se regrouper pour mutualiser leurs savoirs. Intéressant également car il explique le concept de "période de grâce", courte, qui suivra immédiatement "l'Effondrement" au cours de laquelle les survivants auront encore accès à des ressources abondantes, mais insuffisantes sans les savoirs à mettre en oeuvre pour redémarrer une société viable.)

    Jared DiamondEffondrement, (trad. de l'anglais, Collapse, 2005), Gallimard, 2006, 646 p. (l'ouvrage classique du grand anthropologue sur des études de cas d'effondrement dans l'histoire - île de Pâques, Mayas, Groenland des Vikings... et de cas d'épuisement précurseurs d'effondrements possibles dans le monde contemporain - Montana, Haïti, Chine... Fournit également une grille d'analyse multi-critères. Une référence majeure selon moi pour poser des bases plus rigoureuses au concept générique d'Effondrement)

    Stephen Emmott10 Billion, Penguin Books, 2013, 108 p. (traduit en français, ce livre est le premier que j'ai lu sur le sujet, dès sa sortie, j'étais à Londres, et ce fut un choc : phrases courtes percutantes, graphiques, photos, un réquisitoire impitoyable de la catastrophe annoncée. Livre étonnant d'un chercheur dirigeant le labo pluri-disciplinaire de la "Computational Biology" établit par Microsoft en Grande-Bretagne - la fin du livre m'avait glacé : "I asked one of the most rational, brightest scientists I know - a scientist working in this area, a young scientist, a scientist in my lab - if there was just one thing he had to do about the situation we face, what would it be?
    His reply?
    'Teach my son how to use a gun.'
    "

    Paul JorionLe dernier qui s'en va éteint la lumière, Pluriel, 2016, 282 p. (je ne l'ai pas lu, ne peut pas commenter)

    Yves PaccaletL'humanité disparaîtra, bon débarras!, Arthaud, 2006, J'ai Lu, 2007, 191 p. (pamphlet noir et ironique, amusant)

    Pablo Servigne, Raphaël StevensComment tout peut s'effondrer, Seuil, 2013, 296 p. (l'ouvrage princeps sur le concept de "collapsologie")

    Julien WosnitzaPourquoi tout va s'effondrer, Liens qui Libèrent, 2018, 90 p.(un témoignage d'un jeune homme qui a abandonné la finance pour courir sus aux chasseurs de baleines avec l'association Sea Shepherd)


Une Deuxième Partie de ce papier est en préparation sous le titre : « Un monologue. Calvin et le choc du futur ». A suivre sur les MdC.