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dimanche 6 août 2023

René Descartes

On trouvera ici l'archive d'un groupe FB que j'ai tenu du 21 août au 12 novembre 2021 sur René Descartes. 



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Les Règles furent écrites en latin (Regulae ad directionem ingenii). Elles figuraient parmi les papiers recueillis à Stockholm après la mort de Descartes. Elles ne furent imprimées que cinquante ans après la mort de l'auteur, en 1701, à Amsterdam.

L'ouvrage est inachevé.

On pense que Descartes écrivit les Regulae vers 1628, avant son départ en Hollande. Il s'agit en date du premier des grands textes cartésiens.

La traduction française dont nous proposons un extrait ci-dessous fut établie en 1932 par M. George Le Roy. Elle figure en-tête du 40è volume de la Bibliothèque de la Pléiade, Oeuvres et Lettres de Descartes (pages 33-119), textes présentés par André Bridoux. L'édition dont je dispose est celle de 1952.

Les informations ci-dessus proviennent de la notice de l'éditeur.


Descartes pose ici comme Règle I l'idée d'une sagesse universelle, ce qui dans son esprit concerne toutes les sciences, liées ensemble. L'argument est développé sur un peu plus de deux pages, dont voici le début.

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Le Discours de la Méthode paru en 1637, à Leyde, chez Jan Maire, sans nom d'auteur. Le texte original est en français. Une traduction latine, due à Etienne de Courcelles, fut publiée en 1644 chez Elzevier. Le Discours de la Méthode était suivi de trois Traités : la Dioptrique, les Météores, la Géométrie, présentés comme des Essais de la Méthode.

Descartes introduit au Discours de la manière suivante :

Si ce discours semble trop long pour être tout lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties. Et en la première on trouvera diverses considérations touchant les sciences. En la seconde, les principales règle de la méthode que l'auteur a cherchée. En la troisième, quelques-unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode. En la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique. En la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du coeur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes. Et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire.

L'extrait proposé ici est le début célèbre de la Première Partie.


"Pour Alain, Descartes illustrait au mieux "le culte de la raison comme fondement de la République" [1], ce que prolonge M. Thorez : "Descartes proclame la liberté de l'esprit, l'égalité des esprits, la solidarité entre tous, qui est le fondement de la fraternité. Liberté, égalité, fraternité, voilà les principes mêmes de la grande Révolution française ; et ces principes-mà, on les rencontre pour la première fois chez Descartes." [2]

[1] Titre d'un article d'E. Chartier - qui devait prendre plus tard le pseudonyme d'Alain --, in "Revue de métaphysique et de morale", 1901.

[2] La citation de M. Thorez, donnée par Lefèbvre, a été prononcée quand ministre d'Etat en 1946, il présidait à la Sorbonne le 350è anniversaire de la naissance de Descartes.

Cité par H. Lefèbvre, "Descartes", Paris, éd. Hier et Aujourd'hui, 1947, p. 42"

L'ensemble de cette notice est extraité de "Descartes" par Geneviève Rodis-Lewis, Le Livre de Poche, coll. Textes et débats, 1984, pp. 7-8.

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La cinquième partie du Discours de la Méthode est consacrée à la physique, par laquelle il faut également entendre la médecine et en particulier la découverte de la circulation sanguine à laquelle Descartes s’intéressait beaucoup suite à la publication des travaux du médecin anglais William Harvey (de Motu Cordis, 1628). On sait que Descartes préparait la publication de deux grands traités : le Traité du Monde, suivi du Traité de l’Homme et qu’il en fut empêché par la condamnation de Galilée, en 1633. Cette partie du Discours, la plus longue, propose au lecteur un « ordre » de ces questions.







"Il faut <lui> (William Harvey) donner la louange d'avoir rompu la glace en cet endroit, et d'être le premier qui a enseigné qu'il y a plusieurs petits passages aux extrémités des artères, par où le sang qu'elles reçoivent du coeur entre dans les petites branches des veines, d'où il va se rendre derechef vers le coeur, en sorte que son cours n'est autre chose qu'une circulation perpétuelle. Ce qu'il prouve fort bien..."

Pour un commentaire détaillé et une explication de la science du XVIIème siècle autour de cette question de "physique" abordée par Descartes, il faudra consulter avec profit la "Présentation du Discours, Cinquième partie : un tableau de la physique", par Geneviève Rodis-Lewis, in "Oeuvres Complètes tome III", Gallimard 2009, pp. 69-74 (nouvelle édition intégrale sous la direction de Jean-Marie Beyssade et de Denis Kambouchner).

Les photos ci-dessous sont celles de premières pages de la Cinquième partie du "Discours" et s'arrêtent au début de la longue explication de la circulation sanguine par Descartes (dans l'édition de la Bibliothèque de la Pléiade de 1952).

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Les Méditations ont été publiées à Paris en 1641, chez Soly, avec le titre suivant : Méditations sur la philosophie première, dans laquelle est démontrée l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. Une deuxième édition édition parut en 1642 à Amsterdam, chez Elzevier, avec une titre notablement différent, qui devait subsister : Méditations sur la philosophie première, dans lesquelles sont démontrées l'existence de Dieu et la distinction de l'âme et du corps.

Les Méditations, au nombre de six, étaient suivies d' "objections variées d'hommes savants sur ces démonstrations de Dieu et de l'âme".

Les Méditations ainsi que les Objections et Réponses ont été écrites en latin. Elles furent traduites en français, par le duc de Luynes, pour les Méditations, et par Clerselier, pour les Objections et Réponses. La première édition de la traduction française fut publiée à Paris en 1647, chez "la veuve Camusat et Pierre Le Petit".







"Les Méditations métaphysiques" peuvent se lire pour elles-mêmes, sans souci historique. Elles sont écrites au présent, et le présent qui leur convient est le présent intemporel des principes, toujours actuels ou toujours inactuels, comme on préférera. L'oeuvre fondamentale introduit à la possibilité de tout savoir incontestable. Point de référence ici à d'autres oeuvres antérieures, point d'allusions non plus à la physique qui pourrait se construire sur cette métaphysique. [...] L'itinéraire est réduit à ce qu'exige en toute rigueur l'accès à la vérité. Est-ce à dire qu'il n'y ait point ici de temps? La conclusion serait absurde, et elle est manifestement insoutenable.

Le temps est dans les "Méditations" au moins deux foix, sous deux formes liées.

D'abord, le temps est celui de la méditation, ou plutôt du sujet qui médite et qui rend la vérité sienne, en lui consacrant le temps qu'elle requiert pour se rendre évidente. [...] Chaque Méditation occupe une journée, et, de jour en jour, les résultats acquis sont rappelés, les démarches de la veille sont refaites et résumées, les déplacements d'intérêt sont signalés.

..."

Jean-Marie Beyssade, Présentation, Méditations Métaphysiques, Flammarion 1979.

Photos : le début des six Méditations.

"Alors que tant de thèses cartésiennes sont devenues désuètes, ce texte [le "Discours de la Méthode"] aurait plutôt perdu son pouvoir d'éveil pour être devenu trop classique. Il faut en retrouver la pointe, sans souci d'apologétique ni complaisance pour la patine des préjugés. Cette pointe est philosophique."

Jean-Marie Beyssade, 'Commentaires', in "Discours de la Méthode", (avec une introduction d'Alain), Le Livre de Poche, 1973, p. 138.

A propos de l'entrée en philosophie de Descartes, voici ce que J-M Beyssade en rapporte dans une note (p. 150) :

"Au cours d'une conférence donnée par le sieur de Chandoux chez le nonce du page à Paris en 1627, Descartes étonna le public en établissant d'une part avec quelle facilité notre esprit devient la dupe de la vraisemblance, d'autre part par quel moyen infaillible on pourrait démontrer si une question est soluble, et quelle est sa solution si elle est soluble. Le cardinal de Bérulle qui était présent, aurait, suite à cette discussion, invité Descartes à se consacrer à la philosophie."


"Symbole avec le "Cogito" de la philosophie cartésienne, le doute irrigue l'entièreté de cette dernière, sans que celle-ci ne puisse être identifiée à un scepticisme ; bien au contraire, la manière dont le doute se trouve mis en scène vise à trouver un fondement qui lui résiste et qui permette d'obtenir une série de certitudes destinées - entre autres - à vaincre les sceptiques. Lorsque Descartes évoque ces derniers, c'est toujours en vue d'en prendre le contrepied ; ainsi, après avoir rappelé ses neuf années de doute, il en précise la singularité : "Non que j'imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter, et affectent d'être toujours irrésolus : car au contraire, tout mon dessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejetter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc et l'argile" (Discours de la Méthode, Troisième Partie, DM III). Le paradoxe cartésien est donc lié au fait que c'est l'absence de doute dans une philosophie qui conduit au scepticisme, en ceci que les résultats qui n'y ont guère été confrontés charrient une fragilité qui les rend incertains, et donc douteux."

Thibaut Gress, article "Doute" in "Dictionnaire Descartes", Ellipses, 2018, pp. 82-83

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La troisième partie du Discours de la Méthode est consacrée à "une morale par provision qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes". L'extrait ci-dessous (à partir de la phrase "Après m'être assuré ainsi de ces maximes") clôture cette partie. Descartes y décrit notamment comment il en vint à quitter son fameux "poêle" en Allemagne (où l'occasion des guerres l'avait appelé comme mercenaire) et se remis à voyager pendant neuf années; comment il entra en philosophie sous l'incitation du cardinal de Bérulle, et pourquoi il décida de s'établir en Hollande (p. 146).

Le Discours de la Méthode est à la fois un récit autobiographique mélangeant fable et histoire, une préface à trois traités, de physique, la Dioptrique et les Météores, et de mathématique, la Géométrie, et la première publication, sans nom d'auteur, qui allait imposer une pensée, préfiguration des Méditations de 1641.





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Le Discours de la Méthode parut en 1637 contient trois Traités scientifiques présentés comme des Essais de la Méthode. Le premier d'entre eux, la Dioptrique, est le plus abouti. L'ouvrage se compose de dix discours qui traitent de sujets divers d'optique, de physiologie, de mathématique et de technique.

Je commencerai par l'explication de la lumière et de ses rayons, puis, ayant fait une brève description des parties de l'oeil, je dirai particulièrement en quelle sorte se fait la vision...

"Il n'est pas inutile de souligner l'importance que Descartes attribuait à la nature de la lumière; à ses yeux, elle domine et précède toutes les autres, d'abord, en raison de la dimension même du sujet, et aussi parce qu'elle lui semble particulièrement propre à nous donner la clé des mystères de la nature et à nous faire apparaître les véritables principes de la reconstruction du monde. Il pensait en tirer des conséquences infinies, aussi bien dans l'ordre théorique que dans l'ordre pratique."

Notice de présentation d'André Bridoux, in Oeuvres et Lettres de Descartes, Bibliothèque de la Pléiade, 1937, rééd. 1952, p. 123.

Les photos illustrent la première partie du Discours Premier "De la lumière", dans laquelle Descartes propose trois comparaisons pour en faire saisir la nature, à savoir une infinité de rayons en lignes droites.





"Les progrès de la perspective accoutument le savant à suivre "la chute des rayons lumineux", dont le parcours à travers les différents milieux va devenir la substance même de l'Optique. Le Père Mersenne explique dans son livre sur la "Verité des Sciences" (1625) qu'il y a trois sortes de rayons : les droits, les réfléchis et les rompus, à l'étude desquels correspond l'optique proprement dite, la catoptrique et la dioptrique : cette dernière considérant "la façon par laquelle les rayons passent par les milieux divers, comme quand ils traversent l'air, l'eau et le verre en même instant." Le terme de "Dioptrique" est officialisé par Kepler, [...] en 1611."

Pierre Mesnard, "Descartes ou le Combat pour la Vérité", éditions Seghers, coll. "Philosophes de tous les temps", 1966, p. 32.

Parlant de l'invention des lunettes astronomiques, Descartes dit :

"Et c'est sur ceci seul qu'est fondée toute l'invention de ces lunettes composées de deux verres mis aux deux bouts d'un tuyau, qui m'ont donné occasion d'écrire ce traité" (Dioptrique VI)

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"La seule Vie de Descartes, un peu complète, que l'on eût jusqu'alors, était celle d'Adrien Baillet; et elle date de 1691. Lui-même raconte, dans sa Préface, que Chanut, bien mieux que personne, eût écrit cette vie, et après Chanut, Clerselier, qui avait aussi connu « intérieurement » le philosophe. Après eux, il nomme un Oratorien, le P. Nicolas Poisson, qui en fut vivement sollicité par la reine Christine et par Clerselier lui-même, et qui se contenta de donner, en 1670, un petit livre de Commentaires ou Remarques sur la Méthode de René Descartes. Enfin, il nomme encore l'abbé Jean-Baptiste Legrand, devenu, après la mort de Clerselier en 1684, le dépositaire des papiers du philosophe, et qui préparait une nouvelle édition de ses œuvres ; Legrand s'empressa de mettre à la disposition de Baillet tous les documents qu'il avait recueillis déjà.

[...] C'était, pour une bonne part, un assemblage de documents, dont les originaux sont maintenant perdus, et que nous ne connaissons que par les extraits qu'il en a imprimés : bien des pages ont été découpées, pour être mises chacune à sa place au cours de la correspondance ou des œuvres [...]

Baillet trouvait donc une matière presque intacte, et il sut la traiter, rendons-lui cette justice, avec un soin et un scrupule religieux, en tous les sens du mot. L'écrivain, en effet, était prêtre, l'abbé Baillet, futur auteur des Vies des Saints, et il écrivait, n'oublions pas la date, aux environs de 1690, c'est-à-dire au plus fort de la réaction religieuse du règne de Louis XIV. Descartes était fortement suspect : n'avait-il pas été condamné à Rome ? Le pieux biographe s'applique manifestement a le réhabiliter, et à présenter son philosophe comme un bon catholique, croyant et pratiquant, dont il exagérerait plutôt la religion. Il en dit trop à cet égard, et les protestants réfugiés en Hollande n'ont point manqué d'en faire la remarque : M. Baillet, ont-ils dit, a fait de Descartes "presqu'un dévot". "

Charles Adam, Vie et Oeuvres de Descartes : étude historique, Paris, 1910 (supplément à l'édition des Oeuvres Complètes, vol. XII)






En cette année 1649, Descartes qui vit retiré à Egmont, un village d'Hollande du Nord, reçoit trois sollicitations : rejoindre la Princesse Elisabeth dans le Palatinat et s'y établir avec elle pour le restant de ses jours, rentrer en France à l'invitation du Roi Louis XIV et y bénéficier d'une solide pension pour services rendus aux sciences et à sa patrie ; enfin l'invitation pressante de la Reine Christine de Suède de la rejoindre à Stockholm pour lui enseigner sa philosophie. On ne refuse pas l'invitation d'une Reine ... d'ailleurs, Christine a envoyé son Amiral chercher le philosophe à Amsterdam. Le navire attendra le temps nécessaire que Descartes règle ses affaires.

Il arrive à Stockholm début octobre. Il n'en repartira jamais, il meurt d'une pneumonie le 11 février 1650.

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La première journée, consacrée au doute, n'exige pas seulement, pour porter ses fruits de vérité, "le peu de temps qu'il faut pour la lire, mais quelques mois, ou du moins quelques semaines" : il faut le temps que se défassent, dans l'élément corrosif et factice du doute, un certain nombre d'habitudes mentales, des jugements précipités devenus avec le temps opinions familières.

J-M. Beyssade et M. Beyssade, "Présentation", M.M., Flammarion, 1979








"Tous les grands commentateurs de Descartes s'accordent à voir dans les "Méditations" son oeuvre la plus importante, la plus profonde, la plus actuelle. Cette oeuvre est le point de départ de toute la philosophie moderne, et, sans elle, les pensées de Spinoza, de Malebranche, de Leibniz, de Locke, de Berkeley, de Hume, de Kant n'auraient pas été ce qu'elles sont."

Ferdinand Alquié, "René Descartes - Oeuvres philosophiques, tome II - 1638-1642", éd. originale 1963-1973, rééd. Classiques Garnier 2010, p. 380.

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Constantijn Huygens était un des grands correspondants de Descartes, entre 1635 et 1647. Il fut aussi l'un de ses plus proches amis, avec le mathématicien Isaac Beekman et Elisabeth de Bohème, Princesse Palatine.

La lettre suivante du 1er novembre 1635 nous renseigne sur l'avancement des travaux de Descartes sur la Dioptrique, un des trois essais scientifiques qui accompagnent Le Discours de la Méthode pour lequel Huygens manifestait un vif intérêt. En 1637 Descartes envoya à son ami un Petit Traité des Engins, essai à usage privé qui constituait l'ébauche d'un autre essai scientifique jamais écrit, sur la Mécanique. Descartes n'avait plus semble-t-il de temps à y consacrer car il était alors tout entier plongé dans ses travaux sur la physiologie et la Médecine.





vendredi 10 février 2017

Les Origines du totalitarisme. Une lecture commentée de la « Préface à la 1ère édition » (1951)


The subterranean stream of Western history has finally come to the surface and usurped the dignity of our tradition. This is the reality in which we live.
Hannah Arendt, 1950


 

  Les notes qui suivent constituent une lecture commentée d’un texte peu connu en langue française d’Hannah Arendt : la « Préface à la 1ère édition » de son livre Les Origines du totalitarisme, publié en 1951.
  Il s’agit d’un texte court et puissant, de deux pages et demie, qui se prête bien à une analyse fouillée.
  Je renvoie d’abord le lecteur à deux notes pour comprendre les problèmes d’édition, assez complexes, du livre Les Origines du totalitarisme (abrégé en O.T. dans la suite du texte) et de la « Préface » de 1951. Le texte fait ensuite l’objet d’un commentaire intégral, je l’ai découpé en sections et sous-sections correspondant à un plan de lecture possible des 11 paragraphes de la « Préface ». Je termine ces notes par quelques réflexions plus générales sur le style de pensée d’Hannah Arendt.


samedi 26 novembre 2016

Et si pas maintenant, quand ? Arendt et Heidegger, par Emmanuel Faye

Notes pour une recension

Emmanuel Faye, Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée, Albin Michel, 2016


Les notes préliminaires à un travail de recension que l’on va trouver ci-dessous, ont constitué la base de mon intervention à l’émission radiophonique de Michel Gheude (« Et si pas maintenant, quand ? », du CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind) sur Radio Judaïca (90.2 FM) à Bruxelles le 17 novembre 2016). Si vous souhaitez comparer le texte avec le podcast, celui-ci est disponible à l’adresse suivante, à partir de la minute 47’20’’ jusqu’à la fin :

dimanche 30 octobre 2016

La question du « rien » aux limites de l’œuvre d’Hannah Arendt

Eclats du « Rien » en phénoménologie

Deux journées d’étude : 24 et 25 octobre 2016
Université Libre de Bruxelles
Centre de recherche Phi - Laboratoire de phénoménologie et d’herméneutique
Organisation : Professeur Antonino Mazzù


Agenda 


Note : le texte ci-dessous est un énoncé enrichi par rapport à celui prononcé assez librement lors de la conférence. Je n’y fais toutefois pas figurer la notice de présentation par laquelle j’avais commencé mon exposé ni le résumé des questions – réponses qui suivirent. Certaines d’entre elles me serviront peut-être à rebondir, vers d’autres questions. D’autres sections sont par contre un peu plus développées. J’ai conservé les expressions qui rendent compte de l’oralité. Il y aura toujours un chiasme entre la parole et l’écrit. S’il devait y avoir un prolongement papier à ce travail, je crois que la forme et (sur certains aspects) le fond, continueraient à évoluer. Dans l’état, il me semble que c’est un compte-rendu assez fidèle du travail en cours, qui caractérise l’esprit du blog sur lequel je mets cette contribution à disposition. Il va de soi également qu’une intervention dans un colloque, séminaire, journée d’étude, prend sa place et une partie de son sens par sa mise en relation avec les autres interventions. Même si chaque pensée se donne à entendre indépendamment, il y a un tout qui, comme on s’en doute, est plus que la somme des parties. Dans le cas qui nous occupe, ce propos consacré à la clarification d’une « Question du « rien » aux limites de l’œuvre d’Hannah Arendt », n’aurait pas beaucoup d’intérêt s’il n’était pas rapproché des analyses plus fondamentales qui touchent à la pensée du « rien » (néant, vide…), « objet », « concept », paradoxal s’il en est, dont une partie de la recherche en ontologie, en phénoménologie et en logique s’occupe depuis un siècle, recherches dont il nous a été donné d’entendre quelques fulgurances ou éclats au cours de ces deux journées d’étude.
  Je remercie le Professeur A. Mazzù de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. Je remercie également les participants pour leur écoute et la qualité de leurs retours.
  Je choisis d’illustrer l’article pour le blog avec la reproduction d’un tableau que j’ai découvert grâce à une des interventions consacrée au dialogue d’un thème issu de la pensée de Merleau-Ponty avec le travail de l’artiste coréen Lee Ufan.



  Lee Ufan, Dialogue – space, 2008, Oil and mineral pigment on wall, 66 x 62.5 cm, Installation view: Lee Ufan: New Work, Lisson Gallery, London, April 2-May 10, 2008, Photo: Ken Adlard, courtesy Lee Ufan and Lisson Gallery, London.


samedi 22 octobre 2016

Abyss (Kant et Arendt)


Toi qui nous as tant fait voir
de détresses et de malheurs,
tu vas à nouveau nous laisser vivre.
Tu vas à nouveau m’élever
hors des abîmes de la terre.
Tu rehausseras ma dignité,
et à nouveau tu me réconforteras[1].

(Psaume 70)


[1] La Bible, traduction œcuménique. Edition intégrale TOB, Les Editions du Cerf / Société Biblique Française, 1991, p. 1366-1367.


Mal radical et banalité du mal

  La mise en retrait du monde qu’opère la pensée, évite-t-elle que nous ne commettions le mal ? Encore faut-il que le mal s’offre à la pensée comme objet dont nous pouvons comprendre la nature, l’essence. La position d’Arendt a évolué sur cette question. A la fin des Origines du Totalitarisme se trouve une première réflexion sur le mal :

C’est un trait inhérent à toute notre tradition philosophique que nous ne pouvons pas concevoir un « mal radical » : cela est vrai aussi bien pour la théologie chrétienne qui attribuait au diable lui-même une origine céleste, que pour Kant, le seul philosophe qui, dans l’expression qu’il forgea à cet effet, dût avoir au moins soupçonné l’existence d’un tel mal, quand bien même il s’empressa de le rationaliser par le concept d’une « volonté perverse », explicable à partir de mobiles intelligibles. [1]

samedi 24 septembre 2016

Hannah Arendt et la pensée du Droit (I)

« Et, puisque pouvoir et liberté sont en fait synonymes à l’échelon de la pluralité humaine, il s’ensuite que la liberté politique est toujours limitée. »

Hannah Arendt, La vie de l’esprit (II. Le vouloir), PUF coll. Quadrige, 1981, 2014, p. 524


« Tout homme qui s’ingénie à être supérieur aux autres êtres animés doit faire un suprême effort afin de ne point passer sa vie sans faire parler de lui, comme il arrive aux bêtes, façonnées par la nature à regarder la terre et à s’asservir à leur ventre. Au contraire, chez nous autres hommes, la puissance d’action réside à la fois dans l’âme et dans le corps : à l’âme nous réservons de préférence l’autorité, au corps l’obéissance : l’une nous est commune avec les dieux, l’autre avec les bêtes. Aussi, me paraît-il plus juste de chercher la gloire en faisant appel à l’âme plus qu’au corps, et, puisque la vie même dont nous jouissons est brève, de faire durer le plus possible le souvenir qu’on gardera de nous. Car la gloire qui vient de la richesse et de la beauté est mobile et fragile, mais la vertu demeure glorieuse et éternelle. »

Salluste, Conjuration de Catilina, GF-Flammarion, p. 29





Le texte suivant est la version abrégée, pour le blog, d’une recension à paraître dans le numéro de Juin 2017 de la Revue interdisciplinaire d’études juridiques (Université Saint-Louis – Bruxelles)



jeudi 30 juin 2016

La fondation de la liberté chez Hannah Arendt (I)

La fondation de la liberté chez Hannah Arendt (I)

Une lecture de The abyss of nothingness
                                                                                   

vendredi 15 avril 2016

Lire Marx

Le choix du corpus


  Mon travail s’appuie sur deux sources des écrits de Karl Marx en traduction vers le français ou l’anglais, (sauf exception de rares textes de Marx directement rédigés en français ou en anglais) : à savoir, pour le français, l’édition de Maximilien Rubel en Bibliothèque de la Pléiade (4 tomes publiés entre 1963 et 1994) ; et pour l’anglais, l’édition dite MECW (Marx / Engels Collective Works) publiée en 50 volumes chez International Publishers à New York entre 1975 et 2004.
  Le travail de Maximilien Rubel (1905-1996), est une sélection raisonnée en quatre gros volumes (totalisant près de 8200 pages), de l’œuvre immense de Karl Marx selon un plan systématique : deux volumes pour l’Economie, un volume pour la Philosophie, un volume pour la Politique (un cinquième volume de Correspondance était en préparation mais le projet a été arrêté suite à la mort de l’éditeur[1]).
  L’édition Rubel (ou Pléiade) a fait l’objet de critiques de la part des marxistes « orthodoxes », qu’ils soient on non affiliés aux Editions Sociales (qui dépendaient, avant leur faillite en 1993, du Parti Communiste Français[2]), on en trouvera un exemple particulièrement virulent ici[3], mais aussi d’une défense vigoureuse de la part d’autres chercheurs critiques du marxisme officiel[4]. Cette polémique s’inscrit dans un paysage éditorial français des œuvres de Marx qui est problématique, mais c’est l’ensemble des projets éditoriaux de publication des œuvres complètes de Marx / Engels (les diverses versions de la MEGA en allemand, la MECW) qui pose problème, et ce depuis la mort de Marx en 1883. Maximilien Rubel a consacré sa vie de chercheur à une meilleure compréhension des écrits de Marx ; pour toutes ces questions, je renvoie pour le moment à quelques travaux de synthèse[5], ainsi qu’aux textes de Rubel lui-même[6].
  Qu’il me suffise provisoirement de poser que mon choix s’est porté naturellement vers le travail de Rubel, dans la mesure où ce dernier a défendu des thèses socialistes proches du conseillisme ou socialisme utopique et qu’il s’est toujours attaché à défendre Marx contre les dérives d’interprétation pseudo-scientifique de son œuvre, vers lesquelles certains marxistes ont tiré Marx à eux, alors que, par exemple, des textes philosophiques importants du « jeune Marx » n’avaient toujours pas été publiés.[7] La Raison et les « lois de l’Histoire » érigées en dogme ont été invoquées pour justifier la fondation d’un pouvoir totalitaire stalinien, ce qui pour Rubel était inacceptable.
  Rubel cite souvent en exergue ces propos du vieux Marx: « Tout ce que je sais, c’est que moi, je ne suis pas marxiste »[8]. Il s’agit en fait d’une citation dont on trouve une première occurrence dans une lettre de Friedrich Engels à E. Bernstein, du 2-3 novembre 1882[9], ainsi que dans une autre lettre à C. Schmitt du 5 août 1890[10], lettres dans lesquelles Engels rapporte ces propos que Marx a tenu à son gendre, Paul Lafargue à la fin des années 1870.
  Il convient de citer le passage complet de la lettre d’Engels à Schmitt afin d’en saisir le contexte et la portée :

(…) J’ai lu dans le Deutsch Worte de Vienne, ce que pense du livre de Paul Barth le malencontreux Moriz Wirth, et cette critique m’a donné aussi une impression défavorable du livre lui-même. Je le parcourrai, mais je dois dire que si Moritzchen cite fidèlement le passage où Barth prétend n’avoir pu trouver dans tous les écrits de Marx qu’un seul exemple de la dépendance dans laquelle la philosophie se trouve par rapport aux conditions matérielles de l’existence, à savoir que Descartes identifie les animaux aux machines, un homme capable d’écrire une chose pareille me fait pitié. Et puisque cet homme n’a pas découvert que si les conditions matérielles de l’existence sont la primus agens [cause première], cela n’exclut pas que les domaines idéologiques exercent sur elle une action en retour, secondaire à vrai dire, il ne peut certainement pas avoir compris la matière qu’il traite.  Cependant, je le répète, tout cela est de seconde main, et Moritzchen est un ami dangereux. La conception matérialiste de l’Histoire a maintenant, elle aussi, quantité d’amis de ce genre, à qui elle sert de prétexte pour ne pas étudier l’histoire. C’est ainsi que Marx a dit des « marxistes » français à la fin des années 70 : « Tout ce que je sais, c’est que je ne suis pas marxiste. »

  Cela étant dit, cette convergence critique à-priori entre Maximilien Rubel et Hannah Arendt renforce mon choix de privilégier l’édition Pléiade pour la lecture du corpus de Marx en français, choix qui repose sur des fondements documentaires et bibliographiques solides – la contribution importante du travail de Rubel à la connaissance des textes de Marx. Un autre argument est de nature politique : la dimension de l’utopie dans la pensée socialiste que la présente recherche entends (re)mettre à l’avant-plan à propos de l’héritage philosophique de Marx, revu et corrigé, ou modéré, par la lecture d’Arendt. Cela ne m’empêchera pas de critiquer tout autant certains aspects de la démarche de Rubel lorsque je l’estimerai nécessaire (notamment l’emploi abusif de citations hors-contexte, comme dans l’exemple de la lettre d’Engels ci-dessus). Toutefois, il y a également une raison somme toute pratique pour privilégier l’édition Pléiade : c’est la seule qui propose en traduction française la sélection la plus large possible de textes de Marx unifiés par une même approche éditoriale, une même cohérence dans la traduction et l’appareil critique. A défaut d’œuvres complètes qui n’existent pas, l’édition Pléiade représente ce qui s’en rapproche le mieux pour le chercheur. C’est ce que pensent aussi les auteurs du Collectif Smolny (collectif d’édition des introuvables du mouvement ouvrier).[11]





[1] « Marx : Les Œuvres complètes se sont arrêtées avec le Tome IV (Politique I). L’éditeur du volume est mort, la « cote » de Marx a beaucoup baissé, il est improbable que de nouveaux volumes paraissent à l’avenir, le catalogue ne défend même plus cette idée par une mention « en préparation ». Série probablement arrêtée. »,  in « La Bibliothèque de la Pléiade », Brumes, le blog d’un lecteur, https://brumes.wordpress.com/la-bibliotheque-de-la-pleiade-publications-a-venir-reeditions-reimpressions/, version du 15 mars 2015
[2] Marie-Cécile Bouju, « Bataille idéologique et propagande communistes. Les maisons d’édition du PCF, 1920-1956 », Nouvelles Fondations, 2007/3, n°7-8, p. 260-265
[3] E.M. (Emilio), « Maximilien Rubel, ou l’art de falsifier Marx », Controverses n°4, Novembre 2010, publié le 15 mars 2013 dans Gauche Communiste historique, http://www.leftcommunism.org/spip.php?page=imprimer&id_article=348&lang=fr
[4] Miguel Abensour et Louis Janover, Maximilien Rubel, pour redécouvrir Marx, Paris, Sens & Tonka, 2008
[5] Aude Le Moullec-Rieu, Maximilien Rubel, éditeur de Marx dans la Bibliothèque de la Pléiade (1955-1969), Ecole des Chartes, thèse 2015. Cet auteur se concentre sur les deux premiers volumes Economie I et II, « qui permettent de saisir le projet éditorial de Maximilien Rubel, de sa genèse en 1955 jusqu’à sa mise en œuvre en 1968. », op. cit, p. 1. Je cite également une plaquette apologétique de Ngô Van, Avec Maximilien Rubel, combats pour Marx 1954-1996, une amitié, une lutte, Editions l’Insomniaque, 1997
[6] Voir la Bibliographie étendue, section 5, Commentaires sur Marx et l’histoire du marxisme.
[7] Il s’agit des manuscrits parisiens de 1844 publiés en 1932, in Pléiade 2
[8] Maximilien Rubel (éd.), Pages de Karl Marx pour une éthique socialiste, tome I : Sociologie critique, Petite Bibliothèque Payot, 2008, p. 7
[11] Collectif Smolny, Œuvres de Marx dans la Bibliothèque de la Pléiade. Fiche bibliographique n°9: édition de Maximilien Rubel (1963-1994), in http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=314