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samedi 29 juillet 2017

Théâtre des Opérations, Juillet '17


Mais la force pure ne suffit pas, c’est là, dans sa prison, que le Surfer découvre le pouvoir de l’empathie.

Journal de la Rêvolution


  Au sommaire de cette édition de Juillet du « Journal de la Rêvolution », vous trouverez quelques essais et discussions sur des thèmes comme l’avenir du travail, l’individu et le collectif, le paradoxe de Fermi, ou une critique de l’antitotalitarisme, ainsi que les rubriques habituelles de fin de billet : extraits de l’Agenda de la Pléiade il y a soixante ans, remerciements et liens vers les épisodes précédents du journal.
 Par ailleurs, un scénario se construit en parallèle, mettant en scène des personnages d’une série des Marvel Comics autour des figures emblématiques de Galactus et du Silver Surfer. Allez donc savoir quelle est la trame la plus importante du Journal : les diverses analyses et commentaires ou les aventures d’un super-héros ?
  Bonne lecture.


vendredi 30 juin 2017

Théâtre des Opérations, Juin ‘17


                                                                           
Le Surfeur d’Argent prend son élan.
Parviendra-t-il à se libérer de l’attracteur étrange ? La vitesse de libération est supérieure à 11 km/sec.


Journal de la Rêvolution


Résumé des épisodes précédents :
·      Qui est Galactus ? D'où vient-il ? Quel est son but ?
·      Naissance du Silver Surfer, la plus belle création de Galactus, maître de l'univers.
·      « Propage mes tweets dans tout l'Univers » lui dit-il. Silver Surfer s'élance vers les mondes habités.
·      Le vaillant Surfeur d'Argent parviendra-t-il à échapper à l'emprise totalitaire de Galactus, le dévoreur de planètes ?
·      La menace se précise. Galactus arrive. Sa destination : la Terre. Son but : y faire prospérer le capitalisme prédateur.

*
Arendt. Encore ? Oui !
… L’affaire est entendue. Avec Eichmann à Jérusalem, Arendt, la philosophe américaine d’origine juive allemande, aurait fait, comme on pourrait le dire aujourd’hui sur Facebook et les plateaux télés, son coming-out antisémite. Ne voyez-vous pas ? Quelle complaisance vis-à-vis du bourreau Eichmann ! Quelle dureté de jugement à l’encontre des victimes ! Ah vraiment, nous avons été abusés par cette « sainte » fort peu démocratique. D’ailleurs, son gros livre là, Origines du totalitarisme, quel fatras d’inepties ! Quelles approximations historiques ! Quelle erreur fondamentale d’avoir mis sur le même plan les nazis et les staliniens ! Et le racisme insupportable aussi qui suinte des pages qu’elle y consacre à l’impérialisme britannique !... Nous avons été abusés… la faute à l’Université, aux médias, au Pape, sûrement, la faute aux Juifs ! Il faut brûler Hannah Arendt.
  L’œuvre d’Arendt continue, c’est le moins qu’on puisse dire, à susciter des débats. J'y vois quelque chose d'encourageant. Comment pourrait-il en être autrement ? Car d’emblée, c’était mal parti. Son positionnement politique ne pouvait être que problématique, dès la publication de son premier livre et des réactions hostiles de la gauche qu'il a suscitée, en particulier en France.

« Dis Hannah, t’es de droite ou de gauche ? Parce que c’est vachement important pour nous, je veux dire les camarades, les intellectuels, enfin tous les progressistes… Ah ! Tu ne veux pas répondre à la question. Tu prétends que nous ne pouvons pas te mettre en boîte ? C’est clair. T’es de droite ! Y a que les mecs de droite pour dire qu’ils ne sont ni de droite ni de gauche, au-delà de ces questions. Voire même d’archi-droite. En plus tu préfères la Révolution américaine à la Révolution française ! Scandale ! T’es qu’une petite bourgeoise, t’es un de ces laquais du Capital qui nous font la leçon. Et ton amourette avec le nazi, là, complètement sous hypnose, même pas capable de penser par toi-même, ouais, t’es une femme. Tu te prétends spécialiste de la pensée politique. Laisse-nous rire. Tu n’es pas sérieuse. Tes livres sont trop faciles à lire. C’est bien la preuve que tu n’as pas de pensée. »

  Après sa mort on est tombés dans une sorte d'excès inverse et à l'ostracisme a succédé l’adulation pour la championne des révolutions démocratiques.

« Alors là, vraiment, Hannah Arendt, voyez-vous, c’est la championne des droits de l’homme, des droits des femmes, des droits des minorités, des droits des héritiers spirituels d’Heidegger, des droits des robots… elle a tout compris ! Je m’endors toujours avec Hannah sous la main. Je veux dire, ses livres, je les lis et les relis. Tout ! D’ailleurs c’est bien simple : totalitarisme ! Tout est dit, je vous le dis, faut pas chercher plus loin : les nazis ? totalitarisme ! les rouges ? totalitarisme ! les libéraux ? totalitarisme ! les fans de Platon ? totalitarisme ! les scientifiques ? totalitarisme ! les fans d’Arendt ?... heu on arrête… Et puis elle a vraiment compris c’est quoi la démocratie. Tu vois, la démocratie, la politique c’est quand tu te mets en scène devant des auditeurs (le Peuple) mais pour d’autres acteurs avec lesquels tu agis. Ouais c’est ça, c’est du théâtre. A cause des Grecs. C’est l’action mon gars. Le théâtre-action par conséquent. Ou les conférences gesticulées si tu veux. La démocratie, c’est un truc participatif, plat, sans lendemain, on cause beaucoup, la nuit de préférence, et debout ! Toute la nuit on cause. On agit. C’est la politique réinventée dans l’événement. On est contre le système ! On est pour l’événement ! Avec un grand « E ». Entendez venir l’Evénement. Arendt, tu comprends, c’est un prophète qui annonce des trucs pas possibles. »

  Finalement, Arendt a pensé ce qu'elle a pu avec les outils de son époque, sa formation et ses passions. Mais l'essentiel de ce qu'elle a écrit continue à résonner. La réduction d'Eichmann au portrait d'un « clown » sinistre fait partie de ces lieux communs destinés à prouver qu'Arendt n'avait rien compris. Elle avait très bien compris la nature du nazisme. Elle a eu aussi dans ce livre des formules journalistiques que l'on continue à lui reprocher (la banalité du mal). C'est une vision tronquée, un peu comme si on réduisait Marx à l’injonction qui clôt le Manifeste du Parti Communiste ou Hegel à la formule de l'oiseau de Minerve qui prend son envol à la tombée du soir.

  Lisons donc Arendt, relisons-la. Laissons de côté les amalgames des penseurs obsédés par la dénonciation des errements – souvent bien réels - des institutions universitaires et qui se lancent dans une critique – souvent légitime – d’auteurs au passé nazi ou « compagnons de route » de divers totalitarismes ; mais cette critique pourrait finir par ressembler à une forme « d’épuration » de l’histoire de la philosophie en France s’ils ne mettaient un frein à leur passion. Celle-ci en effet, après la figure de Martin Heidegger, s’en prend à Hannah Arendt mais aussi à Jacques Derrida, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, Giorgio Agamben, Alain Badiou, tous plus ou moins coupables d’amitiés heideggériennes. J’en profite par conséquent pour saluer deux publications récentes qui vont mettre un peu d’air frais dans la littérature secondaire consacrée à Hannah Arendt après le livre à charge d’Emmanuel Faye, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler sur ce blog.
  Il s’agit d’abord de ce Guide de voyage à travers une œuvre qui est proposé par Thierry Ternisien d’Ouville, livre pratique destiné à un public généraliste : Penser avec Hannah Arendt, publié chez Chronique Sociale à Lyon. L’auteur y commente de manière claire et pédagogique les sept « livres politiques » publiés par Arendt de son vivant. C’est un choix tout à fait justifié car on sait à quelles difficultés sont confrontés les chercheurs qui tentent de mettre de l’ordre dans les publications qu’un auteur n’a pas eu l’occasion de rassembler, d’éditer, de publier lui-même et qui font l’objet d’âpres débats bibliographiques. La difficulté est rendue plus complexe aussi dans le cas d’Arendt à cause des langues, l’anglais et l’allemand, qu’elle a utilisée lors de certaines publications, en n’établissant pas toujours une cohérence entre les diverses éditions de ses livres. Le choix effectué par Thierry Ternisien d'Ouville consiste donc à proposer pour le lecteur francophone le meilleur de l’œuvre d’Hannah Arendt, rassemblé dans ces sept livres emblématiques d’un parcours politique et qui suffisent amplement à « l’honnête homme » désireux de s’instruire, c’est-à-dire, de trouver un accès commode aux textes. Rien en effet ne déforme plus la compréhension de la pensée d’un auteur que les polémiques dont il fait l’objet, qui résultent souvent de passions politiques (c’est évident dans le cas d’Arendt) et qui constituent autant d’écrans de fumée. Je plaide donc, avec Thierry Ternisien d'Ouville, pour ce retour salutaire aux textes et rien qu’aux textes. A chaque lecteur de se faire alors soi-même, dans le silence et le calme de son étude, sa propre opinion. Ce parcours raisonné proposé par Thierry Ternisien d'Ouville passe par Les origines du totalitarisme (1951), Condition de l’homme moderne (1958), La crise de la culture (1961), De la révolution (1963), Eichmann à Jérusalem (1963), Vies politiques (1968) et Du mensonge à la violence (1972).
  Le second ouvrage que je souhaite saluer est la réédition très bienvenue et attendue d’un des meilleurs livres d’analyse philosophique consacrés à Hannah Arendt, livre qui était depuis longtemps devenu introuvable. Il s’agit du remarquable ouvrage d’Etienne Tassin, Le trésor perdu. Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, publié chez Klincksiek à Paris en 2017 avec une nouvelle préface de l’auteur. L’édition originale était celle de l’éditeur Payot, dans la mythique collection « Critique de la Politique » (des livres sobres grand format à la couverture rouge), en 1999. Dans la très abondante littérature secondaire consacrée à l’analyse de la pensée d’Hannah Arendt en français, ce livre d’Etienne Tassin sort du lot par la qualité de son interprétation phénoménologique de l’action politique et par sa grande érudition. Il s’agit on s’en doute d’un livre pointu.
  Dans le fond, le reproche principal que j’adresse au livre d’Emmanuel Faye, dont j’ai par ailleurs apprécié le parti pris critique, toujours nécessaire dans toute discipline qui prétend à quelque objectivité, c’est de confondre philosophie et histoire de la philosophie. Cette dernière nous aide à comprendre le contexte qui entoure les textes, les conditions de leur production, de leur réception, l’état des sources, les filiations et les ruptures etc… mais l’histoire de la philosophie ne produit pas de concept philosophique. Il ne viendrait pas à l’esprit d’un spécialiste de l’histoire des sciences par exemple, de « critiquer » des résultats de la physique moderne la plus pointue au nom d’un contexte, par exemple de guerre ou de concurrence qui a produit les conditions qui rendaient ce genre de découvertes possibles. Or, c’est ce biais cognitif majeur que j’observe en philosophie où la distinction entre l’œuvre et l’auteur est parfois complètement oblitérée (ainsi d’une « méthode » qui réduit l’œuvre exclusivement à la biographie de son auteur). Ce n’est pas le cas de Faye mais parfois la différence opérée entre l’œuvre et la vie est mince dans son argumentation. Au nom d’une histoire parfois nauséabonde, il en vient donc à considérer certains textes comme nuls et non avenus, ne méritant en fait aucun intérêt dans leur champ d’étude propre. Cette méthode qui utilise l’histoire de la philosophie pour dénoncer une production philosophique est je pense dommageable, à la fois pour la compréhension interne des textes, sur laquelle elle superpose un filtre nous invitant à lire constamment entre les lignes ou à en forcer le sens, mais aussi pour la validité, je le répète, nécessaire et utile, de la critique qui est alors rabattue sur un parti pris politique. Personne ne conteste l’existence du nazisme dans la vie et dans la pensée d’Heidegger. Mais Arendt « nazie » ? Non, ni dans sa vie, ni dans sa pensée, à moins là aussi de rabattre le « nazisme » sur une pensée parfois « conservatrice » qui existe bel et bien chez Arendt n’en déplaise à ceux qui la considèrent exclusivement comme une « égérie de gauche », non, ce rabattement n’est pas sérieux.

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Understanding and Applying Linear Regression
  Linear regression is a key technique used in forecasting and in quantifying cause-effect relationships. In this course, Understanding and Applying Linear Regression, you will learn how to identify patterns in data and test those relationships for statistical soundness. You will also learn simple regression and multiple regression. Finally, you'll explore the use of categorical variables. When you're finished with this course, you will have a strong applied knowledge of regression in Excel, R, and Python that will help with factor analysis, logistic regression, and other powerful techniques.”
- (résumé de présentation d’un cours sur les techniques de la régression linéaire et des outils informatiques dans le cadre d’une formation au « big data »)

  L’imposture du machine learning, du deep learning comme nouveau paradigme d’une révolution des connaissances grâce au big data : il ne s’agit de rien d’autre que d’appliquer des techniques d’analyses statistiques relativement simples : études des corrélations entre plusieurs variables, réduction de leurs relations à une équation du premier degré (linéaire), afin d’une part d’expliquer les liens entre variables (pseudo-causalité statistique entre variable indépendante et variables dépendantes, je dis bien « pseudo » car reposant sur l’analyse post-hoc, après les faits et non pas sur la création d’expériences contrôlées) et d’autre part de projeter leurs tendances (prévision). Pourquoi imposture ? Parce que forcément liée à l’hypothèse de normalité des distributions d’événements sous-jacentes (gaussienne). Pour le dire autrement : tous ces modèles se cassent la figure lorsque des événements extrêmes surviennent qui rompent les corrélations entre variables (ou au contraire précipitent leur corrélation dans le cas de variables au départ non-corrélées). Tous ces modèles sont par conception incapables de comprendre ou d’anticiper la nature d’une « crise » qui est par définition un événement hors du commun. On l’a bien vu avec la crise financière de 2008 et l’incapacité des modèles de calculs des risques des banques d’anticiper la chute brutale de leurs actifs ou le gel des liquidités (Value at Risk ou modèle VaR). Nassim Taleb a décrit tout cela, nos œillères mentales, notre incapacité de penser hors du cadre de la normalité, avec la belle métaphore du « cygne noir ». Les statisticiens sont toujours à la recherche d’un modèle fiable capable d’expliquer ou d’anticiper les « événements extrêmes qui se cachent dans les queues des distributions normales. »

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Alien Covenant
  Ridley Scott dans une grande veine lyrique (Wagner, Shelley) joue sur ses propres mythes (Alien, 1979 et Prometheus, 2012) avec les angoisses contemporaines (les androïdes) et les questions éternelles (qui est notre Créateur). Intéressant de voir jusqu'où ira le délire de cette question poussée à son paroxysme chez nos créatures. Un très bon cru dans la série. Michael Fassbender est impeccable dans le rôle principal.

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Un supersolide créé pour la première fois en laboratoire
  Actualité des sciences un peu décalée certes, car les résultats de cette étude ont été publiés en sept-octobre 2016 sur arxiv.org et ensuite en janvier 2017 dans une version vulgarisée du magazine Pour la Science. Comprenne qui pourra sans doctorat en physique.

*
木をつみ
て夜の明やすき
小窓かな

ki o tsumite
yo no akeyasuki
komado kana

the tree cut,
dawn breaks early
at my little window


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Comment fonder une nouvelle théorie économique ?
  Je ne sais pas ! Mais on pourrait commencer par (re)lire sérieusement les auteurs existant en se posant la question de ce qui dérape, du modèle à son application. À commencer par Marx sans oublier les économistes dits néo-classiques aussi (que peu de gens connaissent à part d'autres économistes), comme Menger, Jevons ou Walras, lesquels sont les véritables fondateurs du « néolibéralisme » - on les appelle aussi les « marginalistes » : théorie de l’utilité des agents économiques plutôt que théorie de la production et de la résolution du problème de l’allocation optimale des ressources. Cette théorie assez curieuse et même franchement contre-intuitive, stipule que l’utilité n’intervient dans le prix qu’à la marge. L’exemple est celui de l’eau dont il faut une petite quantité pour survivre et dont l’utilité est virtuellement infinie alors que le diamant n’a aucune utilité mais atteint des prix mirobolants et dans la plupart des cas, bien supérieurs à ceux de l’eau. Il faudrait y ajouter quelques auteurs libéraux hétérodoxes (Maurice Allais). En fait, le réservoir des bonnes idées pour renouveler la « science lugubre » (the dismal science) est inépuisable ; mais voilà, le problème est que l'économie n'est pas une science exacte en dépit de ses outils quantitatifs et de sa « neutralité » dans la définition de l’homme comme agent rationnel ; elle fait partie des « sciences humaines » au sens large, ou dans un sens plus étroit des sciences de la société (avec le droit, la politique, l’anthropologie etc..), disciplines qui n’ont de sciences que l’apparence ou le dispositif technique et qui sont trop influencées par des biais cognitifs ou culturels pour prétendre à l’universalité et la neutralité de leurs résultats (dans le sens ou la théorie ne sert pas de justification à une domination de classe). A mon humble avis, l'économie ne redeviendra sérieuse comme discipline que lorsqu'elle sera solidement adossée aux sciences dures, physique et surtout biologie évolutionniste (sous tous ses aspects, biologie moléculaire, génétique des populations, théorie du développement embryonnaire, physiologie, neurosciences). En un sens, l’économie comportementale indique la direction des futures recherches en mettant l’accent sur l’étude empirique du sujet dans ses décisions et ses processus cognitifs. De là, on pourrait par un tour de passe-passe réduire l’économie à la psychologie mais ce serait une voie sans issue, car il est un fait, c’est dans L’Origine des espèces de Darwin qu’on trouve cette idée que le « problème économique fondamental » (que Darwin emprunte à Malthus) est au cœur du principe de la sélection naturelle : i.e. le fameux problème de l’allocation optimale de ressources limitées à une population dont la taille et les besoins augmentent. Mais il faut faire attention. Ne lisons pas Darwin comme Herbert Spencer qui s’est jeté sur L’Origine des espèces, trop heureux d’y trouver une explication scientifique à l’inégalité des conditions humaines et à la justification de l’impérialisme britannique. C’est lui, et non pas Darwin, qui a inventé le « darwinisme social » avec tous les dégâts que cette idée a provoqué, et continue à provoquer. Car il faut évidemment compléter L’Origine des espèces (1859) par La filiation de l’homme (1871) dans laquelle Darwin explique les principes de son anthropologie. L’évolution explique-t-il a commencé à favoriser les instincts de coopération, qui procurent aux « animaux sociaux » leur avantage compétitif et reproductif. Pour Darwin, la compétition au sein de l’espèce humaine est contre-productive à partir du moment où elle détruit le semblable et réduit l’espérance globale de survie de l’ensemble de la population. C’est la coopération qui est la compétence expliquant le succès d’Homo Sapiens. Sous sa forme schématique de la concurrence théorisée par les « marginalistes », au nom d’un principe d’utilité égoïste, l’économisme contemporain est insuffisant pour expliquer la dynamique des populations, l’évolution culturelle etc. Donc, oui, je me dis que peut-être, est-ce dans un renouvellement des recherches à la fois sociales et biologiques que l’économie trouvera sa place, non pas comme théorie séparée, dictant ses lois macroéconomiques aux gouvernements et microéconomiques aux entreprises, mais comme un corpus de principes appliqués à la « bonne gestion » de l’espèce Home Sapiens dans son milieu naturel et culturel. L’économie comme branche de l’écologie, voilà un renversement de perspective et de priorité qui me parait propice à refonder une croyance dans le Progrès.

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  Le développement personnel n'a pas réponse à tout. C'est même un des critères de succès du libéralisme : tout est réduit à l'individu. Ce qui fait défaut : des réponses collectives dans l'espace public. Cela s'appelle la Politique. À quoi les libéraux répondent à juste titre : ce n'est plus nécessaire puisque le plus important est la recherche du bonheur (privé). Mais la Politique n'est ni science, ni art, ni morale : c'est le domaine de la force régulée par le droit. Il faut donc changer les rapports de force.

« Il ne faut pas confondre "piétonnier sans vapeurs d'essence" et "piétiner les valeurs de décence." (Proverbe bruxellois - toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes serait... etc) »
- Lu sur Facebook, crédit : Irène K.

  La lamentable histoire du maïorat de Bruxelles est un argument massue pour la démocratie par tirage au sort (Contre les élections, David Van Reybroeck), les mandats courts et la fin de la professionnalisation de la Politique. C'est la seule manière concrète dont j'envisage une révolution démocratique.

  Le centrisme ou l'absence de pensée. Il faut redonner sa place à la pensée critique qui ne peut correctement opérer qu'à partir d'un point de vue excentré.

  McKinsey est l'officine idéologique et managériale du grand Capital. Relire L'enseignement de l'ignorance de Jean-Claude Michéa. Et OUI, l'objectif est bien de créer une société à deux vitesses et une masse de consommateurs à moitié illettrés.

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Will this technology bring us someday to the stars?
  At least it can fasten much more than expected the moment we will be able send automated engines during our lifetime and get results back from Alpha Centauri!
This is the Breakthrough Starshot program. It’s simple and amazing (simple in concept. Implementation will be much more complex). SF fans will be reminded of spaceships driven by light sails... (Arthur C. Clarke ...)



Picture: © Chris Wren, Mondolithic Studios
Une escadrille de voiles poussées par de la lumière laser et portant chacune une petite puce équipée de capteurs, telle est l'idée du projet Starshot pour atteindre une étoile voisine du Soleil.

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  Cher ami, vous avez-raison. L'horloge s'est arrêtée avec l'explosion des bombes. H. Et nous sommes vaguement demi-vivants. Ou demi-morts.
- Avec les amitiés d'Ubik.
P.S. Avez-vous acheté votre Ubik de protection? Ne tardez pas.

  Est-ce un « ou » mutuellement exclusif ou pas? (Si et seulement si il existe un ensemble dont l'être et le non-être sont membres). Exemple: vous-même, faites-vous partie de l'ensemble des auteurs qui s'écrivent et ne s'écrivent pas eux-mêmes ? Une fois admis le principe de non-contradiction du « et », nous pourrons en conclure que l'existence même de la question est la preuve de l'existence de cet ensemble, d'où, pour en revenir à la proposition principale, nous dirons que la réponse au problème est indécidable. Vous venez donc d'enrichir la littérature d'une classe de problème dits N-P - nous pourrons encore écrire des milliers de livres.
- Amitiés polynomiales.
P.S. Avez-vous acheté votre Ubik de protection? Ne tardez pas.

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  Et nous terminons cette revue des événements mémorables ou minuscules du mois, par un écho de la cruelle vie littéraire il y a soixante ans, rappelés à notre bon souvenir par l’Agenda 2017 de La Pléiade.
Juin 1957 : «   Le début des Réflexions sur la guillotine de Camus paraît dans La NRF, qui propose aussi des bonnes feuilles de D’un château l’autre et un entretien de Céline avec Nimier, « Céline au catéchisme ». »

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Merci à :
Daniel C. Dennett
Patrick Tort pour ses lectures de Darwin
et tous ceux qui défendent le matérialisme intégral dans le champ scientifique et combattent l’obscurantisme sous toutes ses formes, d’abord dans les sciences – ce qui parait légitime - et dans le domaine public (il est important de défendre la laïcité) : à savoir l’obscurantisme en version hard (l’intégrisme religieux), ce qui va de soi, mais aussi l’obscurantisme en version soft (spiritualisme, créationnisme et autres « irrationalités »…) et ceci est nettement moins évident car comme il est dit que le diable se cache dans les détails, on ne verrait pas pourquoi un « gentil » illuminé pourrait être moins dangereux qu’un « forcené » de la vérité. Le problème c’est qu’à long-terme le doux dingue est aussi dangereux que le baveux hurlant s’il a pour effet de nous ramollir le cerveau et de neutraliser notre intelligence critique. Mais il y a aussi autre chose : éviter de tomber soi-même dans le piège du baveux hurlant, devenir plus laïque que Saint-Verhaegen (« patron » de l’Université Libre de Bruxelles) et se méfier comme de la peste des philosophes donneurs de leçons.
- Amitiés
P.S. Avez-vous acheté votre Ubik de protection? Ne tardez pas. Il vous protègera des uns et des autres.

*
Remerciement spécial à Maurice G. Dantec (Grenoble, 13 juin 1959 – Montréal, 25 juin 2016), « écrivain nord-américain de langue française » comme il se définissait lui-même, à qui j’emprunte le titre de « Théâtre des opérations » pour le texte que vous venez de parcourir.

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Précédents épisodes du Théâtre des Opérations :

samedi 25 février 2017

Théâtre des Opérations, Février ‘17

Naissance du Siver Surfer, la plus belle création de Galactus, maître de l'univers

Journal de la Rêvolution



« Le pouvoir absolu est l'anarchie politique et la barbarie »
Alfred de Vigny, 1824

“The subterranean stream of Western history has finally come to the surface and usurped the dignity of our tradition. This is the reality in which we live.”
Hannah Arendt, 1950

« Etre armé
C’est être libre »
A.E. van Vogt, 1951

vendredi 10 février 2017

Les Origines du totalitarisme. Une lecture commentée de la « Préface à la 1ère édition » (1951)


The subterranean stream of Western history has finally come to the surface and usurped the dignity of our tradition. This is the reality in which we live.
Hannah Arendt, 1950


 

  Les notes qui suivent constituent une lecture commentée d’un texte peu connu en langue française d’Hannah Arendt : la « Préface à la 1ère édition » de son livre Les Origines du totalitarisme, publié en 1951.
  Il s’agit d’un texte court et puissant, de deux pages et demie, qui se prête bien à une analyse fouillée.
  Je renvoie d’abord le lecteur à deux notes pour comprendre les problèmes d’édition, assez complexes, du livre Les Origines du totalitarisme (abrégé en O.T. dans la suite du texte) et de la « Préface » de 1951. Le texte fait ensuite l’objet d’un commentaire intégral, je l’ai découpé en sections et sous-sections correspondant à un plan de lecture possible des 11 paragraphes de la « Préface ». Je termine ces notes par quelques réflexions plus générales sur le style de pensée d’Hannah Arendt.


dimanche 5 février 2017

Origines du totalitarisme, un commentaire (p. 604)


 Fiche de lecture / recension


Il y a quelque temps j’ai rédigé sur ce blog des notes pour une recension du livre d’Emmanuel Faye (sur Arendt et Heidegger), dans lesquelles je relevais notamment qu’il faudrait aller plus loin dans l’analyse du livre avec des fiches détaillées en partant du texte d’Arendt. En voici un première à propos d’un point de désaccord portant sur l’utilisation d’un extrait d’Origines du Totalitarisme :


samedi 26 novembre 2016

Et si pas maintenant, quand ? Arendt et Heidegger, par Emmanuel Faye

Notes pour une recension

Emmanuel Faye, Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée, Albin Michel, 2016


Les notes préliminaires à un travail de recension que l’on va trouver ci-dessous, ont constitué la base de mon intervention à l’émission radiophonique de Michel Gheude (« Et si pas maintenant, quand ? », du CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind) sur Radio Judaïca (90.2 FM) à Bruxelles le 17 novembre 2016). Si vous souhaitez comparer le texte avec le podcast, celui-ci est disponible à l’adresse suivante, à partir de la minute 47’20’’ jusqu’à la fin :

dimanche 30 octobre 2016

La question du « rien » aux limites de l’œuvre d’Hannah Arendt

Eclats du « Rien » en phénoménologie

Deux journées d’étude : 24 et 25 octobre 2016
Université Libre de Bruxelles
Centre de recherche Phi - Laboratoire de phénoménologie et d’herméneutique
Organisation : Professeur Antonino Mazzù


Agenda 


Note : le texte ci-dessous est un énoncé enrichi par rapport à celui prononcé assez librement lors de la conférence. Je n’y fais toutefois pas figurer la notice de présentation par laquelle j’avais commencé mon exposé ni le résumé des questions – réponses qui suivirent. Certaines d’entre elles me serviront peut-être à rebondir, vers d’autres questions. D’autres sections sont par contre un peu plus développées. J’ai conservé les expressions qui rendent compte de l’oralité. Il y aura toujours un chiasme entre la parole et l’écrit. S’il devait y avoir un prolongement papier à ce travail, je crois que la forme et (sur certains aspects) le fond, continueraient à évoluer. Dans l’état, il me semble que c’est un compte-rendu assez fidèle du travail en cours, qui caractérise l’esprit du blog sur lequel je mets cette contribution à disposition. Il va de soi également qu’une intervention dans un colloque, séminaire, journée d’étude, prend sa place et une partie de son sens par sa mise en relation avec les autres interventions. Même si chaque pensée se donne à entendre indépendamment, il y a un tout qui, comme on s’en doute, est plus que la somme des parties. Dans le cas qui nous occupe, ce propos consacré à la clarification d’une « Question du « rien » aux limites de l’œuvre d’Hannah Arendt », n’aurait pas beaucoup d’intérêt s’il n’était pas rapproché des analyses plus fondamentales qui touchent à la pensée du « rien » (néant, vide…), « objet », « concept », paradoxal s’il en est, dont une partie de la recherche en ontologie, en phénoménologie et en logique s’occupe depuis un siècle, recherches dont il nous a été donné d’entendre quelques fulgurances ou éclats au cours de ces deux journées d’étude.
  Je remercie le Professeur A. Mazzù de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. Je remercie également les participants pour leur écoute et la qualité de leurs retours.
  Je choisis d’illustrer l’article pour le blog avec la reproduction d’un tableau que j’ai découvert grâce à une des interventions consacrée au dialogue d’un thème issu de la pensée de Merleau-Ponty avec le travail de l’artiste coréen Lee Ufan.



  Lee Ufan, Dialogue – space, 2008, Oil and mineral pigment on wall, 66 x 62.5 cm, Installation view: Lee Ufan: New Work, Lisson Gallery, London, April 2-May 10, 2008, Photo: Ken Adlard, courtesy Lee Ufan and Lisson Gallery, London.


samedi 22 octobre 2016

Abyss (Kant et Arendt)


Toi qui nous as tant fait voir
de détresses et de malheurs,
tu vas à nouveau nous laisser vivre.
Tu vas à nouveau m’élever
hors des abîmes de la terre.
Tu rehausseras ma dignité,
et à nouveau tu me réconforteras[1].

(Psaume 70)


[1] La Bible, traduction œcuménique. Edition intégrale TOB, Les Editions du Cerf / Société Biblique Française, 1991, p. 1366-1367.


Mal radical et banalité du mal

  La mise en retrait du monde qu’opère la pensée, évite-t-elle que nous ne commettions le mal ? Encore faut-il que le mal s’offre à la pensée comme objet dont nous pouvons comprendre la nature, l’essence. La position d’Arendt a évolué sur cette question. A la fin des Origines du Totalitarisme se trouve une première réflexion sur le mal :

C’est un trait inhérent à toute notre tradition philosophique que nous ne pouvons pas concevoir un « mal radical » : cela est vrai aussi bien pour la théologie chrétienne qui attribuait au diable lui-même une origine céleste, que pour Kant, le seul philosophe qui, dans l’expression qu’il forgea à cet effet, dût avoir au moins soupçonné l’existence d’un tel mal, quand bien même il s’empressa de le rationaliser par le concept d’une « volonté perverse », explicable à partir de mobiles intelligibles. [1]

samedi 24 septembre 2016

Hannah Arendt et la pensée du Droit (I)

« Et, puisque pouvoir et liberté sont en fait synonymes à l’échelon de la pluralité humaine, il s’ensuite que la liberté politique est toujours limitée. »

Hannah Arendt, La vie de l’esprit (II. Le vouloir), PUF coll. Quadrige, 1981, 2014, p. 524


« Tout homme qui s’ingénie à être supérieur aux autres êtres animés doit faire un suprême effort afin de ne point passer sa vie sans faire parler de lui, comme il arrive aux bêtes, façonnées par la nature à regarder la terre et à s’asservir à leur ventre. Au contraire, chez nous autres hommes, la puissance d’action réside à la fois dans l’âme et dans le corps : à l’âme nous réservons de préférence l’autorité, au corps l’obéissance : l’une nous est commune avec les dieux, l’autre avec les bêtes. Aussi, me paraît-il plus juste de chercher la gloire en faisant appel à l’âme plus qu’au corps, et, puisque la vie même dont nous jouissons est brève, de faire durer le plus possible le souvenir qu’on gardera de nous. Car la gloire qui vient de la richesse et de la beauté est mobile et fragile, mais la vertu demeure glorieuse et éternelle. »

Salluste, Conjuration de Catilina, GF-Flammarion, p. 29





Le texte suivant est la version abrégée, pour le blog, d’une recension à paraître dans le numéro de Juin 2017 de la Revue interdisciplinaire d’études juridiques (Université Saint-Louis – Bruxelles)



jeudi 30 juin 2016

La fondation de la liberté chez Hannah Arendt (I)

La fondation de la liberté chez Hannah Arendt (I)

Une lecture de The abyss of nothingness
                                                                                   

dimanche 17 avril 2016

Corpus Arendt


Corpus Arendt


Note: bibliographie des oeuvres d'Arendt (les sources primaires), document de travail pour une recherche en cours.

vendredi 15 avril 2016

Vie nue et psychopolitique

Lavage de cerveau


  J’emprunte le concept de vie nue à Giorgio Agamben et celui de psychopolitique à Byung-Chul Han. L’un et l’autre de ces auteurs ont une dette vis-à-vis des travaux de Michel Foucault qui reste un des « archéologues » important du savoir contemporain. Je cite l’extrait d’un entretien mené avec Giorgio Agamben :

L’objet propre de la biopolitique, c’est la « vie nue » (zôè), qui désignait chez les Grecs « le simple fait de vivre », commun à tous les êtres vivants (animaux, hommes ou dieux), distincte de la « vie qualifiée » (bios) qui indiquait « la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou un groupe ».[1]

  Que peut-on penser du terme de biopolitique lui-même, inventé par Michel Foucault ? Dans sa leçon du 10 janvier 1979 au Collège de France, il dit :

J’essaierai de vous montrer comment tous les problèmes que j’essaie de repérer là actuellement, comment tous ces problèmes ont pour noyau central, bien sûr, ce quelque chose que l’on appelle la population. Par conséquent, c’est bien à partir de là que quelque chose comme une biopolitique pourra se former. Mais il me semble que l’analyse de la biopolitique ne peut se faire que lorsque l’on a compris le régime général de cette raison gouvernementale dont je vous parle, ce régime général que l’on peut appeler la question de vérité, premièrement de la vérité économique à l’intérieur de la raison gouvernementale, et par conséquent si on comprend bien de quoi il s’agit dans ce régime qui est le libéralisme, lequel s’oppose à la raison d’Etat,  - ou plutôt la modifie fondamentalement sans peut-être en remettre en question les fondements  -, c’est une fois qu’on aura su ce que c’était que ce régime gouvernemental appelé libéralisme qu’on pourra, me semble-t-il, saisir ce qu’est la biopolitique.[2]

  Le terme de psychopolitique quant à lui proviendrait d’un manuel sur L’Art soviétique du lavage de cerveau (attribué à Lavrenti Beria[3]) traduit en anglais par Kenneth Goff[4], un activiste anti-communiste qui se présentait comme ancien agent soviétique ayant témoigné devant la Commission des activités anti-américaines entre 1946 et 1948[5]. Selon d’autres sources, L. Ron Hubbard connu pour être le fondateur de la « dianétique » et de l’Eglise de Scientologie serait le seul auteur de ce texte.[6] Quoi qu’il en soit de cette controverse[7], il est intéressant de citer une définition du terme de psychopolitique telle qu’on peut la trouver en ligne dans une traduction de livre de Kenneth Goff:

L’art et la science d'affirmer et de maintenir la domination sur les pensées et les choix de loyauté des individus, dirigeants, bureaux et masses, et la réalisation de la conquête des nations ennemies par la « guérison mentale ».[8]

  On peut penser que cet ouvrage est un faux (celui attribué à Kenneth Goff ou à L. Ron Hubbard) – bien que je n’ai pas pu vérifier la source qui appuye cette hypothèse (qui commente le cas de Kenneth Goff)[9] , que ce manuel de psychopolitique relève lui-même de la manipulation – je raisonne ici par analogie avec le faux célèbre : Les Protocoles des Sages de Sion analysé par Pierre-André Taguieff[10] ; il dévoile, dans tous les cas de figure, quelque chose de l’esprit d’une époque auquel Arendt a été sensible. Ainsi, dans un texte peu connu consacré aux « Ex-Communistes » publié d’abord dans Commonweal le 20 mars 1953, ensuite pour le Washington Post le 31 juillet[11], c’est-à-dire en pleine époque du maccarthysme et de « chasse aux sorcières », elle prenait prétexte de la recension des mémoires de Whittaker Chambers, ancien espion soviétique à Washington[12], pour « une mise en garde politique » d’un phénomène « prétotalitaire ». Les propos d’Arendt sur Chambers s’appliquent parfaitement à un individu comme Kenneth Goff et sans doute aussi L. Ron Hubbard. J’ignore si Arendt connaissait dans le détail les activités de la Commission des activités anti-américaines, antérieures à la commission d’enquête présidée par Joseph McCarthy et menant ses activités parallèlement à cette dernière. Par contre, elle n’ignorait pas qu’en dénonçant ces pratiques dangereuses pour la démocratie, elle prenait le risque de mettre son mari et elle-même en danger. Rappelons qu’ils avaient été récemment naturalisés citoyens américains en 1951[13].

L’information […] constitue un devoir dans un Etat policier dont les membres se trouvent regroupés et divisés selon deux catégories toujours mouvantes : ceux qui ont le privilège d’être les informateurs et ceux qui vivent dans la crainte de faire l’objet de renseignements. C’est toujours la même antienne : on ne saurait combattre un dragon, nous persuade-t-on, sans en devenir un soi-même ; on peut lutter contre une société d’informateurs seulement en se faisant informateur.[14]

  Dans une longue lettre du 13 mai 1953 à Karl Jaspers, Arendt s’exprime avec inquiétude sur ce qui se passe aux Etats-Unis :

… et je n’ai pourtant pas écrit car ce que je dois en fait vous raconter paraît chaque jour si oppressant qu’on perd toute envie d’écrire.
  Vous savez sans doute beaucoup de choses par les journaux. Pouvez-vous en déduire jusqu’àù va la désintégration et avec quelle effroyable rapidité elle s’effectue ? Et jusqu’à présent, à peine quelque résistance ; tout fond comme beurre au soleil. L’essentiel est naturellement la décomposition de l’appareil de l’Etat et l’établissement sans doute délibéré d’une sorte de gouvernement parallèle qui, bien que sans pouvoir légal, possède le pouvoir réel. Et cela dépasse de loin les milieux de la fonction publique. [15]

  Un peu plus loin elle ajoute : « Ce qui est déterminant, c’est le rôle des ex-communistes qui ont introduit dans l’affaire des méthodes totalitaires ». Dans le fond, elle voit en train de se réaliser aux Etats-Unis une transformation de l’appareil d’Etat, en décomposition, soumis à l’influence d’une sorte de gouvernement parallèle, symptômes de l’avènement d’un monde totalitaire qu’elle avait analysés dans Origins. Un autre symtôme est celui de la disparition de l’espace public citoyen, remplacé par le monde des affaires et par les nouvelles masses que sont les employés :

Le gouvernement lui-même, avec à sa tête ses présidents joueurs de golf, est impuissant, comme vous avez pu le constater d’après les journaux. C’est un gouvernement du Big Business, dont le seul souci est de rendre ce big business encore bigger. Dans la pratique cela ne signifie pas nécessairement la dépression, mais sans doute la liquidation des petites affaires indépendantes. C’est extrêmement important. [] Le danger de cette évolution n’est pas tellement dans l’accroissement du pouvoir des grands trusts [], il est dans le fait que l’homme de la rue, indépendant, disparaît ainsi en tant que facteur politique. En d’autres termes, ce gouvernement transforme chaque jour davantage la société en ce qu’elle est de toute façon, en une société de jobholders. [16]

  Enfin, elle annonce ce qui se passe aussi sur le plan des idées avec la mise en place d’une nouvelle idéologie et raconte à ce propos une anedocte piquante qui est lui arrivée :

Actuellement, les ex-communistes jouent à vrai dire un rôle néfaste dans les processus de désintégration. Je pense qu’à la longue* ils ne pourront pas se maintenir dans cette position. Ils seront remplacés par le bon réflexe vieille Amérique du know-nothing, car lui seul peut coïncider avec l’idéologie de l’americanism, qui est seulement en train de prendre forme. Tout cela se dessine déjà très clairement. (Le président de Brooklyn College, un imbécile, toute la ville le connaît comme réactionnaire, m’a déclaré dans un débat public qu’il était né et avait grandi dans l’Iowa et qu’il n’avait donc nul besoin de réfléchir davantage ou de lire pour savoir ce qui était juste : lui et Sidney Hook – un attelage désopillant – m’expliquèrent ensuite que ce n’était pas américain de citer Platon… [17]

  Entre l’Amérique du milieu du vingtième siècle et le monde d’aujoud’hui les comparaisons ne manquent pas. Entre le fantasme d’un lavage de cerveau soviétique et celui bien réel des méthodes de dénonciation et de confession importées dans l’Amérique du maccarthysme, Hannah Arendt inquiète observe la possible émergence d’un nouveau totalitarisme. Quels sont les glissements possibles du concept de psychopolitique tel qu’on le trouve dans les écrits (apocryphes) attribués au chef de la police secrète soviétique (en fait dans le chef probable d’un ex-communiste américain), et son réemploi contemporain, par dérivation du concept foucaldien de biopolitique ? Pour un penseur comme Byung-Chul Han, le concept de psychopolitique opère un glissement de sens vers une nouvelle forme d’organisation politique dont les buts et les moyens relèvent du contrôle de l’information et des manipulations de l’esprit humain, à entendre dans un sens large. Ainsi, à propos des nouveaux moyens de surveillance numérique, Byung-Chul Han écrit:

En prenant connaissance de la logique inconsciente de son fonctionnement, la psychopolitique numérique s’empare du comportement social des masses. Notre société de surveillance numérique, en ayant accès à l’inconscient collectif et aux futurs comportements sociaux des masses, a un léger parfum de totalitarisme. Elle nous soumet à la programmation et au contrôle psychopolitique. La page de l’ère biopolitique est désormais tournée. Nous nous dirigeons aujourd’hui vers une ère nouvelle, celle de la psychopolitique.[18]

  Dans la suite de la recherche, j’utiliserai le concept de psychopolitique dans le double sens enrichi par cette généalogie qui emprunte sa forme à une raison gouvernementale (Foucault) et son intention à la manipulation mentale : en d’autres termes, une réactualisation du concept arendtien d’idéologie [19]
  Reprenant alors à mon compte la définition de Giorgio Agamben, j’introduis le concept de vie de l’esprit nue comme étant l’objet de la psychopolitique, par opposition à une vie de l’esprit politique résultant de la pluralité d’êtres humains, non réductible à un schème computationnel, à une Idée platonicienne qui permettrait d’en assurer la fabrication et le contrôle.






[1] Giorgio Agamben, « Une biopolitique mineure », Vacarme 10, 2 janvier 2000, http://www.vacarme.org/article255.html.
[2] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Ehess, Gallimard, Seuil, 2004, p.23-24.
[3] Il fut responsable entre 1938 et 1945 du NKVD, l’ancêtre du KGB, la police politique soviétique.
[4] Kenneth Goff, Brainwashed into slavery, 1950, cité in Jeffrey Kaplan, Encyclopedia of white power: a sourcebook on the radical racist right. Walnut Creek, CA: Rowman & Littlefield, 2000. On pourra consulter ci-après une publicité éloquente pour cet ouvrage attribué à Kenneth Goff, parue dans Ability magazine 1963, vol. 149, p.9 : http://www.lermanet.com/exit/manney/1963_Ability_148_pg8-9.jpg
[5] D’après Jeffrey Kaplan, op. cit., voir aussi la page Wikipedia: House Un-American Activities Committee (à ne pas confondre avec la commission d’enquête du sénateur Joseph McCarthy établie en 1950): https://en.wikipedia.org/wiki/House_Un-American_Activities_Committee, ainsi que la référence citée sur cette page : Michael Newton, The Ku Klux Klan in Mississippi A History. Jefferson, N.C.: McFarland & Co, 2010, p. 102.
[6] L. Ron Hubbard, Brain-Washing. A synthesis of the Russian textbook on psychopolitics, The Church of Scientology, 1955
[8] http://www.oocities.org/traitements_psy/index.pdf. Selon cette source anonyme de traduction du (supposé) livre de Kenneth Goff, ce dernier aurait déposé devant la Commission des activités anti-américaines en 1939 et non pas une dizaine d’années plus tard. Je laisse l’éclaircissement de ce point d’histoire aux spécialistes.
[9] Morris Komisky, The hoaxers: plain liars, fancy liars, and damned liars, Volume 1. Brooklyn Village, MA: Branden Press, 1970
[10] Pierre-André Taguieff, L’imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Editions Mille et une Nuits coll. Petit Libre n°63, 2012.
[11] Hannah Arendt, « Les Ex-Communistes », in Penser l’événement (Claude Habib, dir.), Paris, Editions Belin, 1989, p. 163-175
[12] Whittaker Chambers, Witness, 1952, cité en note de bas de page dans l’article d’Arendt, op. cit., p. 164
[13] Une partie du livre qu'Arendt consacra à l'Impérialisme dans Les Origines du Totalitarisme est citée en exemple d’une évolution du droit dans les décisions de la Cours suprême aux États-Unis face au maccarthysme à partir de 1954 jusqu’en 1958 (cfr. Anne Amiel, La non-philosophie de Hannah Arendt. Révolution et jugement, PUF, 2001, note 1, p. 18). Arendt y évoquait le sort des apatrides, des exilés, des réfugiés dans le dernier chapitre de la seconde partie de son livre, intitulé : « Le déclin de l'Etat-Nation et la fin des Droits de l'Homme ». Elle écrivait notamment ceci: « Avant la dernière guerre, seules les dictatures totalitaire ou semi-totalitaires avaient recours à l'arme de la dénaturalisation a l'égard des citoyens de naissance; nous avons désormais atteint le stade où même les démocraties libérales comme les Etats-Unis, se mettent à envisager sérieusement de priver de leur citoyenneté ceux des Américains de naissance qui sont communistes. L'aspect sinistre de ces mesures tient à ce qu'elles sont envisagées en toute innocence. », in Les Origines du Totalitarisme, op. cit., p. 577.
[14] Hannah Arendt, op. cit., p. 167, [nous soulignons].
[15] Hannah Arendt / Karl Jaspers, Correspondance 1926-1969, Paris, Editions Payot & Rivages, 1995, p. 299-300 (nous soulignons).
[16] Hannah Arendt / Karl Jaspers, op. cit., p. 302-303
[17] Hannah Arendt / Karl Jaspers, op. cit., p. 303
[18] Byung-Chul Han, Dans la nuée. Réflexion sur le numérique, Actes Sud, 2015, p. 102. Il faut relever le fait que cette forme de contrôle social modernisé n’est pas nouvelle dans les sociétés occidentales. Faut-il rappeler qu’en 1928, Edward Bernays rédigeait « LE manuel classique de l’industrie des relations publiques » selon Noam Chomsky, « véritable petit guide pratique écrit en 1928 par le neveu américain de Sigmund Freud, [dans lequel il] expose cyniquement et sans détour les grands principes de la manipulation mentale de masse ou [] la « fabrique du consentement » » ? Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Paris, Editions La Découverte, 2007 (quatrième de couverture).
[19] Hannah Arendt, Idéologie et terreur, Paris, Hermann éditeurs, 2008, pour la version traduite de l’allemand, et aussi : Hannah Arendt, « Chapitre XIV : Idéologie et terreur », in Origines du Totalitarisme, Paris, Gallimard coll. Quarto, 2002, pour la version traduite de l’anglais et qui fut rajoutée à la seconde édition d’Origins of Totalitarianism en 1958.